Né en 1945 en Allemagne de l’Ouest, Jörg Immendorff, qui fut l’élève de Joseph Beuys et le compagnon de route de l’Allemand de l’Est A.R. Penck, laisse, malgré son décès prématuré en 2007, une oeuvre immense tant par sa puissance picturale que par l’intensité de son engagement. L’exposition que lui consacre la Fondation Maeght, choix fait en commun avec Michael Werner, présente près de cinquante peintures des années 1970 à 2007 ainsi qu’une quinzaine de sculptures. Elle donne la part belle aux créations de la dernière période de la vie de l’artiste, peu montrées en France, et permet de mieux découvrir le sculpteur.
« Avec Immendorff, le peintre, héros ou anti-héros, a le rôle-titre. Cette figure souvent cocasse, engagée et dérangeante, semble sortir d’une pièce de théâtre picaresque, d’un théâtre aux scènes multiples », explique Olivier Kaeppelin, directeur de la Fondation Maeght. Grand dessinateur, peintre majeur, coloriste extraordinaire, Immendorff livre une vision singulière du monde, emmenant le public d’un théâtre à l’autre : celui des grandes cités comme celui des « zones glacières » de certaines époques, banquise, ainsi que celui des cafés, bars, « bas fonds » prenant parfois des allures d’enfers, sans oublier le théâtre plus intime et plus spirituel de l’Histoire de l’art.
Scène 1 : l’atelier du peintre.
L’atelier, tant conceptuel que réel, est omniprésent dans l’oeuvre d’Immendorff. On pense au « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre. Immendorff, au coeur même – prisonnier ? – de son atelier est comme dans un atelier volant qui parcourt l’univers de manière parodique ou, au contraire, comme salle de spectacle où le monde vient se déverser.
Scène 2 : la scène historique et politique.
L’artiste y engage sa liberté et sa responsabilité. L’oeuvre d’Immendorff est en dialogue avec son époque, parcourue par ses bouleversements. Le combat est au coeur de sa démarche : impérialisme, création et histoire allemandes, pollution ; la partition de l’Allemagne est un sujet important de son oeuvre. Dès 1968, l’artiste, entré à l’Académie des arts de Düsseldorf en 1963 après une expérience d’instituteur, crée le mouvement d’agit-prop « Lidl ». Il organise des happenings, il dérange. Il est arrêté. Un temps proche de la pensée maoïste, il nous emmène très vite vers l’art, par ses actions qui sont alors qualifiées de néo-dadaïstes. Peintre, Immendorff est associé à ces mouvements néo-expressionistes allemands qu’on appelle les nouveaux fauves (Die Neue Wilden). Avec A.R. Penck, il crée en 1976 l’« Alliance d’action RFA-RDA ». En 1978, il entame la célèbre série « Café Deutschland », la partie la plus diffusée de son oeuvre, dont nous ne retiendrons que les exemples les plus singuliers. Cette sensibilité au monde ne désertera jamais tout à fait les toiles de celui pour qui l’art a une fonction sociale. Il provoque, dénonce, explique. Pour l’artiste, l’art est un moyen préventif contre la bêtise et l’abrutissement.
Scène 3 : le « paysage » épique.
Le paysage romanesque où le peintre devient un explorateur, un aventurier aux côtés de ses contemporains. Immendorff est un metteur en scène. Ses peintures jouent avec des bribes de narration. L’artiste y figure auprès d’anonymes, d’acteurs intellectuels ou politiques de son temps, de figures mythologiques ou issues de contes étranges. Immendorff en appelle aux symboles, pratique l’allégorie. L’Atelier est soudain pris dans les glaces. Nous sommes dans la « glaciation des rapports sociaux », le « Grand Nord » ou, au contraire, nous sommes plongés dans des lieux renvoyant aux enfers de Vulcain, aux bas fonds de Londres du « Rake’s Progress » ou des grandes métropoles contemporaines.
Scène 4 : le théâtre de l’amour et du désir.
La figure du peintre joue avec l’érotisme, l’ambivalence des personnages. Il y a chez lui l’expression d’une « dépense » telle que l’entend Georges Bataille. Immendorff aime la provocation, l’excès. Là encore, ce n’est pas un hasard s’il est inspiré par le livret du « Rake’s Progress », les fameuses gravures de Hogarth et l’opéra d’Igor Stravinsky dont il réalise les costumes et la scénographie pour le festival de Salzburg. Son héros est livré à la folie du monde qui goûte les plaisirs et l’ivresse de l’argent, gagnés et perdus, dans un pari Faustien.
Scène 5 : la scène de l’Histoire de l’art.
Dans nombre de ses toiles, des personnages surgissent d’oeuvres d’art ancien : l’ange de La Mélancolie de Dürer ou des figures de Cranach, mais aussi des portraits d’artistes comme Max Beckmann, Otto Dix, Francis Picabia, Joseph Beuys, Georg Baselitz ou encore son collectionneur et ami Michael Werner dans un mélange ennivrant de fiction et de réalité.
Scène 6 : l’image mentale.
L’exposition accordera une part importante à la dernière période du peintre. Atteint par la maladie qui le paralyse, Immendorff ne peut plus peindre lui-même. Commence alors cette extraordinaire aventure où l’artiste va développer un espace unique de création. Dans l’incapacité de manier lui-même les couleurs et les pinceaux, il expérimente et réalise, avec l’aide d’assistants, une peinture construite par la projection mentale. Ces dernières toiles, allégoriques, sont des merveilles de composition dont la dimension spirituelle n’est pas absente, dans un jeu de fiction engagé par le peintre avec ce qu’il appelle parfois « le divin ». L’accent sera mis sur cette partie de l’oeuvre, pratiquement inconnue en France et qui rendra justice à cette période passionnante.
« Je suis heureux de voir cette exposition, d’un peintre expressioniste allemand, l’un des grands peintres de la fin du XXe siècle, à la Fondation Maeght. La peinture expressionniste allemande fut assez rare dans ses murs et c’est avec plaisir que je vois cette exposition prendre la suite de celle qui fut consacrée à Otto Dix, peintre qui me captive et auquel Immendorff se réfère dans son oeuvre », déclare Adrien Maeght, président de la Fondation Maeght, en ajoutant « qu’elle valorisera le travail et le regard d’un collectionneur passionné, d’un galeriste, d’un compagnon essentiel des artistes, Michael Werner, ainsi que le furent mon père et ma mère ».
« Le rassemblement des peintures, que nous avons constitué autour du travail d’Immendorff, met en lumière la compréhension de cet artiste. Michael Werner y a vu une des créations les plus importantes de ces 50 dernières années. Il n’a eu de cesse de constituer une collection qui permette de révéler, aujourd’hui, la puissance puis la complexité et la subtilité de cette oeuvre », explique Olivier Kaeppelin.