Avec un grand-père ébéniste et sa grand-mère costumière et brodeuse d’or, elle a également puisé dans sa famille son goût pour l’art et le travail appliqué.
Ses études de Lettres et son intérêt pour la littérature l’amèneront à travailler dans une petite librairie de Saint Tropez où elle côtoie des auteurs (Jaccotet, Rezvani), des artistes et des œuvres comme celles de Klee, Vuillard, Pissarro.
Elle réalise alors des croquis d’après les peintures de grands maîtres et commence à exposer à la galerie « Sens Intérieur » de Bruno Bernard à Port Cogolin dans le Golfe de Saint Tropez.
Le besoin de passer du temps à l’extérieur a déterminé chez elle un art impliquant une méditation sur le vivant, sur le végétal surtout. L’intégration de la nature dans sa pratique s’est vite imposée. Le dessin l’a amenée au land art : des racines cousues sur la toile et leurs ombres continuaient l’œuvre sur le mur.
Sa technique se met progressivement en place : à l’aide de petits outils comme des raclettes, des pinceaux et des encres appliquées sur un papier marouflé sur toile apparaissent des marques de tampons, de traces, de balayages, d’effaçages, etc.
La découverte du papier birman l’introduit dans l’univers raffiné du papier dont elle expérimente de nombreuses sortes : chinois, japonais, Wenzhou, des papiers légers sur lesquels les pigments et les encres agissent en produisant des effet de transparence lisses ou cotonneuses.
Elle entreprend un travail à la manière japonaise sur de grandes longueurs avec impression d’encres qui en séchant adhèrent et se mêlent au papier
L’artiste a appris le collage avec un maître thaïlandais qui lui a enseigné comment masser ce matériau pour qu’il adhère à la toile, en chassant l’air délicatement. Elle expérimente longuement le jeu des pigments avec l’eau et les liants qui en séchant produisent une révélation proche de la photographie.
C’est un travail nécessitant une grande patience et une tranquillité de l’esprit qui constitue l’essence de son expérience émotionnelle et physique.
Elle entre dans le motif, choisit des parties qui lui racontent des histoires, réalise un travail complexe et sensible à la lisière du figuratif et de l’abstrait où c’est la nature qui s’impose, créant une alchimie d’impressions colorées : paysages de forêts, de sous-bois, de lacs, d’eaux stagnantes, de nuages, de brumes, de mousses, de feuilles, de veinules liquides, de branchages, etc. Des séries se créent où le vert domine.
Les lumières y sont douces, transparentes, quelquefois apparaissent des visions troubles de villages provençaux dans la brume, dans le presque rien d’une nature délavée.
On est projeté sur des flancs de basse montagne, pas dans les blancs des cimes, loin des jardins, dans une nature sauvage indomptée, où le hasard est utilisé comme facteur de création, « un lâcher prise pour laisser advenir les images ».
La rencontre de l’artiste rue Longchamp il y a quelques années avec Laure Matarasso alors qu’elle recherchait un livre sur Paul Klee écrit par Boulez a été déterminante. Elle a montré à Laure son travail et « considère comme un honneur d’avoir ses œuvres dans ce lieu empli d’histoire » qu’est la librairie-galerie de Laure.
Les œuvres exposées de Joëlle Eyraud évoquent des impressions trop complexes pour se prêter à des mots ou à une légende simple, aussi a-t-elle choisi de ne pas les nommer pour laisser au regardeur le plaisir de s’y projeter sans a priori
« Montrer le monde, non pas comme art, ni concept mais comme monde, comme fait d’expérience visuelle, comme un don sans raison, qui ne demande rien en retour… »
Alain Amiel