Né et mort à Nice, Gustave-Adolphe Mossa (1883-1971) s’est intéressé très tôt à la peinture sous l’influence de son père Alexis Mossa. Peintre également, celui-ci était devenu le premier dessinateur-concepteur du Carnaval. Il était également, aidé de son fils, restaurateur de fresques des chapelles médiévales de l’arrière-pays. Il fonda le Musée des Beaux-Arts de Nice et, à sa mort, en 1926, Gustave-Adolphe reprit sa succession en tant que Conservateur. Toujours sur les traces paternelles, cet artiste prolifique a fourni, chaque année pour le Carnaval, les maquettes de chars et de « grosses têtes », alliant le burlesque du Roi à ses propres fantasmes. Quoique décalé, il fut toujours un peintre reconnu à Nice.
C’est après sa disparition que fut découverte son importante oeuvre symboliste exécutée dans sa jeunesse, entre 1903 et 1917, et abandonnée au retour de la Première Guerre Mondiale dont il est revenu blessé. Exposés à Paris et à Nice, ses tableaux - pourtant pas les plus marquants - avaient reçu un accueil hostile. Du coup, il produit des paysages, des illustrations de nombreux ouvrages, des écrits de farces et de songes burlesques, des livrets d’Opéra... La musique était aussi un de ses terrains de prédilection.
Une salle intitulée « Les tristes heures de la Guerre » montre des dessins qu’il fit durant la Première Guerre Mondiale, une période éprouvante dans la vie de cet artiste. Blessé, il aura pourtant passé plus de temps en convalescence que sur le front. Les peintures symbolistes faites à son retour représentent l’essentiel de son oeuvre.
Ce sont des toiles d’une rare originalité que présente le Musée des Beaux-Arts Jules Chéret de Nice
À la fois, l’énorme donation faite au Musée par Mossa lui-même, et des prêts de particuliers pour cette exposition, donc des oeuvres rarement vues.
En tant que peintre symboliste, Mossa est mal connu, il est totalement à part et ne ressemble à aucun artiste. Pourtant, il impose, après d’autres plus illustres que lui (Gustave Moreau, Klimt, Odilon Redon...), une atmosphère saturée d’une imagination fantastique et d’un univers morbide venu de la poésie baudelairienne. Ses personnages fabuleux ont-ils été empruntés à quelque maître ancien de la Renaissance – il a voyagé en Italie avec son père – ou sont-ils le fruit de son imagination et de son monde intérieur ?
En observant sa peinture très misogyne (il semble considérer les femmes comme d’infernales monstres), on peut s’interroger sur les rapports avec sa mère, une Italienne ni possessive, ni envahissante à ce qu’on sait. Il s’est marié trois fois, après une séparation et un veuvage. Sa première femme a-t-elle été dangereusement dominatrice ? Avec une imagination sans frein, ses rêves chimériques et terribles ne semblent pas pouvoir se raccorder à ce qui l’entourait.
A la fin du mouvement symboliste, il a réalisé une cinquantaine d’oeuvres picturales cachées dans une pièce du Musée des Beaux-Arts de Nice et leur découverte, après sa mort, fut une surprise et un choc !
Avec des amalgames visuels et conceptuels, Mossa créé des images d’une incroyable puissance évocatrice
La femme est toujours dangereuse, vénéneuse, porteuse d’une jouissance suprême tout autant que de mort. Les rapaces sont prêts à dévorer tout cadavre. La fleur témoigne de la brièveté de l’existence. L’atmosphère est étrange, étouffante, ouverte sur un imaginaire sans limites et sur des mystères à l’infini. Les mythes servent de prétextes à des chimères maléfiques.
La femme est une sorcière dangereuse, infernale, avec des symboles spécifiques à chacune. Judith, Cléopâtre, Dalila et d’autres sont coiffées à la mode des années 1900, avec des chevelures luxuriantes. Elles ont souvent des expressions perverses ou concupiscentes (Bethsabée, La Sirène repue...). Il a peint plusieurs Salomé aux multiples têtes coupées de Saint-Jean, mais aussi Judith, coupeuse de la tête d’Holopherne. Serait-ce chez le peintre un fantasme obsessionnel ?
La perversité concupiscente et le regard magnétique prouvent la satisfaction voluptueuse de « La Sirène repue » de sang, tel un vampire. Ce démon ailé porte entre ses deux seins un médaillon aux armes de la ville de Nice, dont quelques monuments reconnaissables surnagent autour d’elle. « Salomé » surmontée par une tête de Saint Jean à la fois tragique et amusant. Avec des têtes de mort sur sa tête et des vautours, la femme écrase les hommes dans « Elle », on peut détailler l’expression du vieillard libidineux de « David et Bethsabée », contempler « Sainte Marguerite terrifiant le dragon », et s’attarder sur l’oeuvre provocatrice d’une femme clouée sur la Croix,...
Pour chaque tableau ou dessin, il faut prendre le temps de regarder les moindres détails afin de découvrir les multiples intentions qui le composent.
A fin de l’exposition, des retables sont présentés pour montrer leur influence sur l’oeuvre du peintre. S’ajoutent encore des illustrations de livres crées par Mossa, ainsi que des dessins de costumes et de décors de « Pierrot s’en va », une pièce de théâtre que l’artiste a écrite, mais qui ne fut jamais jouée
Cette superbe et passionnante exposition, vraiment très riche, ne dure que 3 mois. Elle est fabuleusement intéressante pour mieux connaître ce peintre resté toute sa vie attaché à la ville de Nice.
Caroline Boudet-Lefort