« Le brou de noix a une tonalité sombre et chaude, une sorte de puis- sance élémentaire qui me plaît. Il permet d’obtenir naturellement des transparences et des opacités avec une belle résonance. Cela me conve- nait d’autant mieux que c’est une matière banale et bon marché ».
Ainsi s’exprime Pierre Soulages, 96 ans, dont le musée Picasso d’Antibes présente actuellement un ensemble important d’œuvres. Elles sont issues de collections publiques et privées, et pour certaines d’entre-elles n’ont encore jamais été présentées. D’autres proviennent du musée consacré à cet artiste à Rodez.
C’est d’ailleurs un juste retour des choses : Picasso - notamment pour sa période antiboise - sera cet été l’invité d’honneur du musée Soulages de Rodez, un bâtiment à l’architecture radicale, inauguré en 2014, qui fait du peintre aveyronnais et de son vivant un prophète en son pays. Rare privilège !
Mais quittons le pays de l’aligot pour revenir à celui du pissalât. L’exposition au musée Picasso met en lumière l’œuvre sur papier que Soulages a développée parallèlement à ses huiles sur toile. Sur ce support « pauvre », il a utilisé la gouache, le fusain, l’encre, l’acrylique, le graphite et le brou de noix, sa marque de fabrique, qu’il a découvert lorsqu’il était gamin, dans l’atelier d’un menuisier de sa ville natale.
Obéissant lors de ses créations à « un impératif intérieur », il a délaissé les outils habituels du peintre pour s’exprimer dans la fulgurance, l’épaisseur de la matière et le geste sans repentir.
Le même souci de pureté avait guidé Soulages, dans les années 90, lorsqu’il créa les vitraux de l’abbaye de Conques, en pays rouergat. Mais dans ce lieu de spiritualité, situé sur le chemin de saint Jacques de Compostelle, son travail était tout de lumière et de transparence. L’exact opposé chromatique de cette œuvre au noir présentée chez Picasso, mais avec la même force et la même créativité sans concession.