Les œuvres d’Eric Andreatta ne se laissent pas enfermer dans un quelconque moule. C’est ce que semble nous dire la "sculpture" qui nous accueille à l’entrée du Château. Cette flight case qui sert d’habitude à transporter instruments de musique et matériel sonique pour les concerts, a ici une forme et une fonction particulière. Elle semble avoir servi à transporter un homme, en l’occurrence, l’artiste, jambes et bras écartés en une variante de la crucifixion.
Dès l’entrée, la visite du château est chamboulée. Nos repères sont faussés par les cloisons qui désorganisent l’espace pour nous conduire à mieux découvrir ses propositions. Toutes les œuvres que nous dévoilent ce parcours fléché sont du même acabit : détournements subtils, regards insolites, étonnements techniques...
Chacune d’entre elles nous oblige à nous interroger au delà de ce qu’on voit. Il n’y a pas de pure visualité. Comme un billard à bandes, c’est après quelques rebonds que l’œuvre atteint sa cible entraînant une jubilation d’enfant qui découvre un nouveau jeu dont il n’a pas encore compris toutes les règles. Il peut à la rigueur créer les siennes au fur et à mesure.
Mais ça ne marche pas, les règles changent à chaque salle. D’ailleurs il faut passer des portes, traverser des rideaux en lanières de plastique noir. Chaque pièce est cloisonnée, fermée sur elle-même, sombre. On n’y voit rien au début, seule l’œuvre est éclairée.
- Laser vert (détail) - 2014 Installation in situ (carbonate de calcium, verre, laser) au CIAC-Château de Carros
Eric Andreatta, on le sait, depuis de nombreuses années, aime manier le blanc d’Espagne, cette poudre blanche minérale, très fine contenant principalement du carbonate de calcium qui permet aux gestes de laisser une trace visible palpable, imputrescible. Voir la magnifique vague qu’Hokusai n’aurait pas désavoué. Là encore le geste est juste, large, zen.
La technicité apparente interroge, oblitérant dans un premier temps le sens. Le trajet du "comment c’est fait ?" à "qu’est-ce que ça veut dire ?" passe par une réflexion qui exclut le : "À quoi ça sert ?", banni définitivement. Chez Andreatta, pas d’ambiguité, vous êtes sûr que c’est de l’art, donc de l’inconnu avec lequel il vous laisse vous débrouiller.
Ainsi La Source où la lampe s’éclaire elle même, la présence permanente de vitrages comme surfaces à traverser, tous dispositifs constitués de projecteurs, de moteurs minuscules, de lumières flottantes qui assignent une résonance intérieure à chaque objet.
Les légers décalages, les projections sur des surfaces situées sur différents plans, les mises en abyme d’images ou les œuvres en tension (fer à béton écrasant une vitre brisée) sont autant de propositions originales et déconcertantes pouvant conduire jusqu’à leurs propres effacements pour mieux donner à voir.
Le regard peut se perdre autour de l’œuvre, comme pour ces armatures de chaises posées sur des bandes d’inox qui, grâce à des spots lumineux strient le plafond d’ombres vibrantes.
Dans le fumoir (le premier sans doute d’une exposition), les cigarettes qui dansent dans une ambiance musicale et bavarde, fauteuils, cigarettes, cendriers s’imposent comme une critique à notre monde aseptisé.
- Installation in situ au CIAC-Château de Carros Détail du dispositif / Projection murale
Andreatta est intéressé par le percept, ce premier filtre de notre cerveau, cette expérience visuelle qui surgit dans la conscience avant d’être soumis à la conceptualisation, aux analyses, aux interprétations, juste avant que le cerveau ne commence à en décoder les signes. C’est ensuite seulement qu’il associe ce qu’il voit à des choses qui sont déjà dans sa mémoire car notre cerveau n’est pas un volume vide à remplir. Il est déjà plein de conceptions inscrites et nous comprenons ce qui nous entoure qu’à travers une grille de lecture qui détermine notre vision du monde. Ainsi, une image, un paysage, une installation, ne sont jamais neutres. Ils renvoient à quelque chose de déjà vu, de déjà connu, de déjà pensé. "On dit que j’imagine, c’est pas vrai, je m’en souviens" (van Gogh).
Andreatta utilise ce mécanisme pour surprendre. Même si toutes ses propositions semblent décalées, elles loin d’être hermétiques et proposent plusieurs niveaux de lecture....
Comme le titre de son exposition, l’artiste, d’habitude "brut de décoffrage", pour le vernissage s’est fait amical, convivial, donnant à chacun quelques clefs pour comprendre.
"Bricoleur malicieux", ce mot de Éric Mangion dans la préface du catalogue est particulièrement adéquat. Il y a quelque chose de malin et de goguenard dans ses propositions. Tout est maîtrisé, tenu et en même temps poétique, léger, d’une évidente simplexité.
- Sans titre - 2014 Installation in situ (tressage d’inox, chaises, verre acrylique, lumière) au CIAC-Château de Carros