POURRIEZ-VOUS NOUS PARLER DE LA GENÈSE DE CE PROJET ?
Dès mon premier voyage au Maroc en 2001, j’ai été attirée par le raffinement de sa culture et la beauté de son artisanat.
En y retournant en février 2014, j’ai compris qu’il y avait dans la population un sens aigu de l’esthétique et que l’artisanat évolue.
Mais ce qui m’a interpellée le plus, c’est un micro phénomène, du « Christo sauvage ». Avec trois fois rien, on embellit, on protège, en emballant ses affaires, son stand mobile, sa bicyclette ou voiture. Avec un peu de tissu, parfois vieux et déchiré, avec du plastique, du papier ou de la peinture, on transforme l’environnement.
J’ai fait quelques photos de ces emballages. Rentrée chez moi, je les ai retravaillées pour traduire mon ressenti. La chaleur, la lumière, l’artisanat et l’hospitalité, même la nourriture m’ont poussée à trouver un équivalent visuel à ces sensations.
C’est pourquoi j’ai travaillé sur le motif et sur la couleur comme jamais je ne l’avais fait. J’ai poussé les couleurs chaudes au maximum : les jaunes, orangés, fuchsias, rouges et violets, tous hyper saturés.
J’ai imbriqué, tissé dans mes images des motifs que j’ai trouvés dans l’architecture marocaine : arabesques et zelliges.
L’exposition contient aussi des images en noir et blanc rehaussé de couleur où le motif prend toute son importance.
« Emballée », c’est non seulement le sujet de mon exposition, mais la manière dont j’ai travaillé les images, je les ai « emballées » dans les motifs, la couleur.
« Emballée » traduit aussi l’enthousiasme et l’énergie que m’a procuré la re/découverte de cette culture et de ce micro phénomène. Car je pense que débrouille, inventivité, créativité sont les grandes ressources de demain.
COMBIEN DE TEMPS AVEZ-VOUS PASSÉ AU MAROC POUR PRÉPARER CETTE EXPOSITION ? VOTRE PROJET S’EST-IL TRANSFORMÉ EN COURS DE ROUTE ?
J’y ai fait trois voyages en un an pour approfondir ce projet. Après les premières trouvailles, je suis entrée en mode Recherche.
Non seulement le concept d’emballage spontané et populaire m’a fortement impressionnée sur place, mais il a continué de m’interpeller quand je suis rentrée à Nice, m’a poussée à un grand questionnement autour de ce thème, et m’a fait élargir mon champ de pensée.
Dans mes deux premiers grands projets photographiques : « Frutopie » et « Tutu dans la Ville », le message était relativement univoque et utopique ; je cherchais avec mon travail artistique à changer un petit peu la vie autour de moi.
Pour mon grand projet en cours, « La Mariée Revisitée », j’explore le costume de la mariée d’une manière plus ouverte. Je le questionne en évoquant à la fois sa séduction et ses contraintes, je joue avec, je le réinvente.
Dans ce nouvel état d’esprit, en rentrant de Marrakech j’ai réfléchi sur l’idée de l’emballage dans tous ses états, du plus concret au plus abstrait.
C’est ainsi que j’ai créé ici à Nice des performances d’emballage et de déballage de performeurs, acteurs et amis dont Fred de Golfiem, Maija Heiskanen, Elodie Tampon-Lajariette, Aurélie Fougeron, Ines Macchi Devilhena, Anissa et Emna Regaeg, Florence Rinaldino, Alizée Fougeron et Victoria Bour.
L’emballage pour moi évoque un faisceau de possibilités :
Paquet cadeau séduisant de part son emballage, comme dans la culture japonaise où l’empaquetage peut être plus important que ce qu’il cache, mais peut aussi révéler une belle surprise à l’intérieur.
L’habit comme emballage, notre cocon, protecteur ou contraignant, norme à laquelle nous adhérons souvent sans réfléchir.
J’ai étendu la notion de l’emballage à celui du Lien. En quoi sommes-nous plus ou moins emballés par la société ? Comment les autres nous guident, nous protègent, nous aident ou nous restreignent ? Parfois n’est-ce pas simplement nous-mêmes qui avons intériorisé les codes ?
POURQUOI AVEZ-VOUS CHOISI DE REPRENDRE LE TUTU ROUGE (1) POUR CE PROJET ?
Le Tutu incarne pour moi légèreté, liberté et aventure même si dans l’histoire de la danse classique avec tutu et pointes il a été contrainte, forme hautement codifiée et très lente à faire évoluer. Heureusement, Noureev ou Forsythe, et maintenant une foule de chorégraphes contemporains ont fait exploser ce modèle et amené beaucoup de fantaisie.
Le personnage du Tutu que j’ai créé : habillé en rouge et chaussé de basquettes, est aérien mais aussi relié à la terre, plein de chaleur et de fantaisie et peut-être un peu foufou.
Pour les performances dans la fontaine, le Tutu Rouge est emballé de tissu, soit le torse, soit la tête. Il essaie d’avancer, guidé ou retenu par un autre personnage, parfois habillé comme moi : pantalon noir/débardeur noir ou en djellaba ou par un autre tutu. Parfois le tutu est seul dans l’image, il bondit en avant retenu à un long lien mais on ne voit pas ce qui le retient, sans doute des normes assimilées.
Si le questionnement reste ouvert, un début de réponse s’est présenté : il faut avancer malgré nos codes, nos œillères.
POURQUOI UNE INSTALLATION AVEC UNE ROBE DE MARIÉE OCCIDENTALE ET CLASSIQUE AU MILIEU DES IMAGES MAROCAINES ?
Précisément pour élargir la réflexion. Evoquer toutes les formes normatives dans lesquelles nous sommes pris. La robe de mariée en est un exemple intéressant. Ce costume est si séduisant qu’il nous est difficile de le remettre en question (même si de nombreux artistes l’ont fait avant moi)
L’installation : « La Mariée aux Lilliputiennes » est née de ces interrogations. C’est une Mariée Gullivérienne allongée au sol, emballée dans sa robe et ficelée. Une multitude de lilliputiennes en tutu rouge, portant de grands ciseaux, vont la libérer. Une tension demeure car elles viennent couper à la fois les liens et la robe…
QU’AVEZ-VOUS VOULU DIRE AVEC LE GRAND COLLAGE EN FORME DE DJELLABA ?
Comme tout le reste du travail, je n’ai pas cherché à donner une réponse univoque. Au contraire, j’aimerais qu’elle donne lieu à des interprétations, des interrogations diverses et variées.
J’évoque le corps et la fantaisie sous l’habit et par extension une réflexion sur ce costume : protecteur, confortable, graphique de par son unicité de forme et de couleur, mais également une certaine retenue du corps comme celle que nous les femmes d’Occident avons connue avant le droit au pantalon.
DES AUTRES NOMS SONT ASSOCIÉS À VOS CRÉATIONS. DANS QUELLE MESURE AVEZ-VOUS COLLABORÉ ?
Pour la première fois avec mon travail plastique, j’ai collaboré. Les photographies retravaillées sont uniquement de moi. Pour le reste, j’ai voulu m’ouvrir au plaisir de l’échange et de la collaboration. Quand j’étais scénariste, je collaborais beaucoup, c’est un mode que j’ai appris très tôt avec mon père et qui me stimule et active ma pensée. Mon amie Danielle Babrant a été une interlocutrice, un soutien formidable. Grâce à son aide, j’ai pu réaliser concrètement les travaux de plasticienne : collage (La Djellabelle) et installation. Pour les Lilliputiennes en tutu, c’est un travail de groupe : ma fille a créé leur corps, mon mari les ciseaux qu’elles portent, et moi leur tutu et quelques corps.
Ma famille s’est impliquée dans mon travail : ma fille Marina Ziolkowski a créé trois collages à partir de mes photos et mon mari est mon allié de toujours.
Les performances sont par essence collaboratives et ludiques.
Tous ces apports et partages ont été une source supplémentaire de bonheur et d’ouverture.
Exposition à découvrir dès le 25 Mars 2015 !