Cet enfant de la guerre d’Espagne pratique la peinture combative et provocatrice pour dénoncer l’arbitraire.
D’ailleurs il ne cessera de traiter de cette Espagne obsédante, ce « paradis des mouches » dont on ne sait vraiment s’il l’aime ou la déteste.
Eduardo Arroyo voulait devenir écrivain. Mais il a sans doute très vite compris que son sens du spectacle allait faire œuvre. Narration, goût du paradoxe, liberté constante : il n’a pas rejeté cette littérature à laquelle il se réfère constamment. C’est en puisant dans la quantité d’images produites par notre société qu’il entre dans le mouvement de la Figuration Narrative.
Des tableaux célèbres, peintures inédites, dessins et sculptures, réunis par thèmes aux cimaises de la fondation Maeght racontent ce parcours qui des années 60 à nos jours se préoccupe de philosophie, de politique ou de sociologie, guide le public sur le passionnant spectacle d’un plasticien qui joue avec les catégories, détourne les styles et les techniques, comme le montre sa toile intitulée « Dans le respect des traditions » choisie comme emblème de son exposition.
Ce paysage de Corot est traité de quatre manières différentes, Arroyo se livrant au plaisir du faussaire, un exercice d’humour, d’ironie basculant dans l’absurde. Reprenant par exemple avec virtuosité La Ronde de Nuit de Rembrandt dans un format monumental de sept mètres par trois, dans laquelle il arme un de ces miliciens bourgeois d’un gourdin !
C’est ce genre d’œuvre qui nous rend ce peintre attachant, offrant au néophyte que nous sommes la fausse impression d’entrer dans une eau claire alors qu’elle est extrêmement profonde.
Dans les relectures de Velasquez, Goya, Le Greco, Van Gogh on trouve les mêmes réinterprétations décalées et facétieuses. Et son esprit littéraire n’est pas dissocié de son esprit de peintre, son œuvre traverse la littérature de Cervantès à Tolstoï jusqu’à Joyce. Selon Olivier Kaeppelin, le directeur de la fondation Maeght, « la pensée littéraire de Joyce a à voir avec la peinture de Arroyo ».
Eduardo Arroyo grince des dents, mais il s’émeut aussi et la sobriété est de mise. Même s’il évoque l’idée de la mort, de manière détournée ou même risible, il relève les paradoxes par le biais des symboles : mouches, crânes et vanités, tauromachie, combats de boxe, qui sont plutôt chez lui les signe d’une lutte incisive avec elle.
Les thèmes de la vie et de la mort passent par le filtre de l’histoire de l’art. « Agneau Mystique » en est la principale illustration.
C’est une transposition complète mais détournée tracée au moyen d’un simple crayon sur papier du retable « l’Adoration de l’agneau mystique » peint par Hubert et Jan Van Eyck. Arroyo y introduit les figures du monde de la politique et de l’art, ayant marqué le XXe siècle d’une manière plus ou moins positive, comme celles de dictateurs.
La série des ramoneurs montre un artiste maniant le crayon avec autant de sûreté que de mordant.
Son questionnement permanent revient dans des toiles empreintes une grande jeunesse d’esprit même quand elles sont récentes.
Peinte à 80 ans tout spécialement cette année pour cette exposition, l’aussi drôle que triste Retour des croisades montre un vieux picador épuisé monté sur une rossinante rapiécée et perdant ses fers. C’est le retour de Cervantès d’Alger où il avait été détenu dans des conditions particulièrement effroyables.
C’est un homme d’une grande noblesse qu’il nous a été donné de rencontrer. Privilège !
Annick Chevalier