Jean Cocteau présente une fois de plus une vie chargée de paradoxes. Parfaitement intégré à une société incapable de saisir les nuances et les avancées de ce poète, il effectue des va-et-vient permanents entre le monde social et celui de l’imaginaire. Ses multiples essais et réflexions, voire plaidoiries autour de la création artistique transcrivent en effet un vaste besoin de légitimation.
Le nouveau parcours évoque cette genèse du poète selon Jean Cocteau : tout d’abord les liens étroits entre mot et ligne, le pourquoi du dessin d’un poète, puis peu à peu les médiums auquel l’artiste s’est attaché afin de transcrire au fil de sa vie, cette veine créative qui jamais ne le quittera. Ses icônes – Heurtebise, Orphée, OEdipe – ses rencontres – Radiguet, Diaghilev, Picasso – ses dérives, contradictions et fascinations sont autant de thèmes illustrant une démarche totalement originale et peut-être aussi une vie mise en scène.
Le Bastion, musée historique, retrouve l’accrochage d’origine conçu par Jean Cocteau.
Le nouveau parcours muséographique se déroulera en cinq séquences avec un fil conducteur : Cocteau poète.
De la « naissance » du poète dans les salons littéraires, introduit par Edouard de Max, à l’artiste souvent incompris qui s’identifie à des personnages mythologiques, l’accrochage dévoile un Jean Cocteau intime et confidentiel qui se définit d’abord en tant que poète quel que soit le support qu’il aborde. De l’écriture au cinématographe, la poésie imprègne son oeuvre : poésie de théâtre, poésie de roman, poésie de cinéma...
Les rencontres artistiques sont autant de jalons importants dans son oeuvre créatrice : Guillaume Apollinaire, le Groupe des Six, Raymond Radiguet…
La dernière séquence s’ouvre sur l’univers onirique de Jean Cocteau et le monde mystérieux de la Belle et la Bête. Ce monde poétique est peuplé d’un bestiaire propre à l’artiste aux confins des rêves et inspiré des contes.
Le parcours de l’exposition
Première séquence : Écrire avec son sang
Le parcours débute par le premier volet de la trilogie cinématographique de Jean Cocteau, le Sang d’un poète, présent au travers d’un extrait du film et d’oeuvres s’y rapportant. Ce moyen métrage fut très mal reçu par le mouvement surréaliste qui cria au scandale pour plagiat, ce qui valut au poète d’attirer la haine de ces artistes.
Des clichés du photographe de plateau Sacha Masour à l’automythographie, cette première séquence brosse le portrait d’un poète de sa naissance artistique au mythe du personnage qu’il invente.
Deuxième séquence : Rencontres
L’amitié est importante pour Jean Cocteau qui a souvent lié ce sentiment à son univers créatif. Dès 1916, il fréquente le quartier de Montparnasse à Paris. Quelques clichés pris par Jean Cocteau montrent ses amis artistes : Picasso, Kisling, Max Jacob…
Les collaborations sont fructueuses et variées : depuis le Groupe des Six qu’il fonde en 1916 jusqu’aux farces Parade et les Mariés de la Tour Eiffel, il associe ses amis artistes à ses créations de théâtre, de cinéma et de musique. Il qualifie d’ailleurs le Groupe des Six d’ « amitié que les gens prirent pour une école et qui n’en était que la récréation7 ». L’accent est mis, dans
cette exposition, sur la naissance de ces relations amicales qui dureront toute sa vie.
Pour Parade (1917), au théâtre du Châtelet, alors que Jean Cocteau écrit les textes, Picasso crée les décors, les costumes et le rideau de scène.
La liste est longue de ses amis artistes avec lesquels la rencontre a été importante : Stravinsky, Picasso, Satie, Modigliani, Georges Auric, Giorgio de Chirico, Raoul Dufy… Parmi eux, les poètes amis occupent une place majeure dans son panthéon lyrique : Rimbaud, Apollinaire, Max Jacob et bien sûr Radiguet – certaines des planches de son Bal du Comte d’Orgel, dessinées par Jean Cocteau, seront présentées dans cette séquence. Enfin, il convient de ne pas oublier l’univers des acteurs qu’il a fait jouer et dont il est resté très proche à travers ses créations cinématographiques, sa poésie de cinéma.
Troisième séquence : Poétique de la peinture ou Peindre sans être peintre
Jean Cocteau franchit le pas de l’écriture au dessin sous l’impulsion de Picasso à partir des années 1920. Puis toujours guidé par lui, il débute la peinture au début des années 1950.
De la poésie graphique, il passe alors à la peinture puis aux murs peints.
Les peintures de Jean Cocteau sont rares car elles n’ont été produites qu’au cours des dix dernières années de sa vie. La collection du musée en possède un certain nombre notamment parmi les plus célèbres : Naissance de Pégase, le combat de Jacob et l’ange, Madame Favini…
Par ce médium, Jean Cocteau considère qu’il fait également de la poésie.
Une de ses oeuvres les plus importantes est la tapisserie Judith et Holopherne (1948) pour laquelle il dessine de nombreuses études. Il s’agit d’une « peinture traduite dans une langue de laine ». Nous présentons pour la première fois le carton de tapisserie peint par le poète pour les ateliers d’Aubusson, issu d’une collection particulière.
Quatrième séquence : L’Engagement solitaire
Cette séquence montre l’incompréhension à laquelle a été confronté Jean Cocteau, notamment en raison de cette pluridisciplinarité qui lui a été reprochée. Il est souvent considéré comme frivole et superficiel, car sa carrière et sa vie mondaine sont intimement liées. Son aspect dandy lui a porté préjudice. Cocteau incompris, Cocteau Ecce Homo… mais aussi Cocteau, créateur libre.
Le poète s’est beaucoup défendu sur les attaques qui lui ont été faites. Ce questionnement sur soi-même et cette remise en cause ont été la démarche de toute sa vie. Les autoportraits dévoilent son introspection, notamment la série du Mystère de Jean l’Oiseleur. Il compare par ailleurs la poésie à un ring de boxe. Très ami avec le célèbre boxeur Al Brown, il associe la symbolique de ce sportif à l’état du poète, la poésie active.
Son dernier film le Testament d’Orphée constitue son dernier message. Une des répliques finales lors de la scène du contrôle d’identité par les gendarmes résume la situation du poète : « Je n’ai pas d’explication à vous fournir. Un homme à pied est obligatoirement suspect ».
Cinquième séquence : Rêves
Hors de toute école, Jean Cocteau a construit son propre univers, empli de féérie et de merveilleux.
L’exposition présente son bestiaire fantastique composé de sphinx, de faunes et de licornes. Leurs premières apparitions dans l’oeuvre de Jean Cocteau, à la fin des années 1940, relèvent de la poésie graphique. Au début des années 1950, ils investissent les murs de la villa Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Le sphinx est le mythe que croise le poète dans les carrières des Baux-de-Provence dans son dernier film le Testament d’Orphée, tourné en 1959.
Cocteau adapte, selon son imaginaire, la légende médiévale de la licorne. Il lui donne souvent des traits humains.
Ces figures hybrides se rapportent aux deux référents mythologiques de Jean Cocteau : les faunes et les licornes sont issus du monde d’Orphée, le sphinx est OEdipien.Tous ces êtres fantastiques sont à l’image du poète : dans la marginalité et la solitude, dans la « Difficulté d’être ».