« Il suffit de déplacer un tout petit peu la règle pour obtenir une ligne différente. Ceci comme principe de base et le travail se développe, se construit, s’enclenche. Le monde devient différent si on désaxe le pivot. Principe. »
Ecrit Claude Viallat en avril 2010.
Claude Viallat fut, par ce geste radical et par cette méthodologie opératoire et créatrice d’un nouveau langage plastique, l’un des membres les plus importants du groupe Supports/Surfaces dont il est l’un des fondateurs, acteurs qu’ils furent de cet instant de rupture dans l’histoire de l’art du XXe siècle, dans le contexte intellectuel et politique effervescent de ces années-là.
Les expositions qu’accompagne aujourd’hui ce catalogue présenteront l’oeuvre récente de Claude Viallat donnant ainsi à l’artiste carte blanche pour présenter ses toutes dernières peintures sur bâches, sur tissus d’ameublement ou sur parasols, mais aussi et moins connus, ses objets qui résultent d’assemblages de
matériaux hétéroclites, ses cerceaux entrelacés de toiles peintes et de ficelles, ainsi que ses tauromachies sur couvercles de boîte d’acrylique.
Partout ou presque, le spectateur retrouvera la forme simple et organique, dénuée de signification mais emblématique du travail de Claude Viallat depuis les années 60, et qui, déclinée à l’infini, ne cesse en fait, de présenter ses talents de coloriste.
On peut en effet penser que le principe de base de l’oeuvre de l’artiste est cette forme d’haricot répétée à l’aide d’un pochoir, de couleurs variées et sur tout support, forme qui a fait sa signature depuis le début. Fausse route, certes. Car si ce geste répétitif, si ce « logo » s’imprime toujours et encore sur ses bâches et tissus, il n’est là que pour relever par l’indifférence à la forme représentée, toujours la même, l’importance accordée au travail du peintre, la répétition du motif ne visant qu’à le vider de toute
représentation, de toute image, sans pour autant épuiser l’acte de peindre, et ainsi isoler, repérer, énumérer , dialectiser, décliner, les éléments constitutifs et matériels de la peinture, non dans le but d’exécuter le dernier tableau, mais bien de reconstruire un vocabulaire qu’il développera en une langue propre et originale sur
toile libre pour les peintures et sur les supports les plus variés tels que bois, pierre, corde, papier, verre, céramique, cuir pour les objets.
Ces expositions auront donc pour vocation de présenter aux visiteurs l’ensemble du travail de l’artiste et mettre en lumière l’incroyable richesse d’invention d’une oeuvre tout à la fois radicale, généreuse et prospective dont les récents développements en marquent la grande maturité.
Evelyne Artaud et Robert Bonaccorsi
mai 2014
LES OBJETS
Claude Viallat emploie le terme d’objet pour qualifier les assemblages d’une grande précarité et d’une grande simplicité de matériaux divers qu’il collecte lors de ses promenades le long de la mer, sur les bords du Rhône en Camargue ou autour d’Aubais. Ces bois flottés, ces ficelles, ces bouts de cordes, ces pierres et ces galets, ces restes d’éléments de la vie courante constituent des objets qui n’ont aucune signification ni aucun usage précis mais qu’on reconnaît parce qu’ils font partie d’une sorte de culture universelle et parce qu’ils résultent de gestes simples et archaïques.
LES TOILES
Le travail sur toile de Claude Viallat se caractérise par cette forme neutre, ni naturelle ni géométrique, qui est répétée sur une toile libre, sans châssis, déterminant la composition de l’oeuvre. Il décline ce dispositif pictural sur des supports divers (bâches, toiles de voiles, de parasols, de tentes) et avec des techniques d’imprégnation de la couleur sans cesse renouvelées, comme la peinture mais aussi la solarisation de la toile, l’imprégnation, la capillarité de la peinture, la teinture à
l’éponge ou au pochoir. Son support favori est la toile libre de tous châssis, flottante,
qui peut être pliée, roulée, posée par terre, accrochée directement au mur ou au plafond. Il pratique également volontiers l’assemblage cousu de surfaces peintes et explore toutes les possibilités de la récupération : vieilles couvertures, rideaux, nappes, revêtement de chaises, bâches de bateaux, tentes militaires, vêtements, parasols...
LES CERCEAUX
Ces oeuvres qui ont à la fois une cohérence propre et une proximité évidente avec le reste du travail de Claude Viallat sont présentées depuis peu comme une partie intégrante de son travail. Ils se trouvent en effet insérés dans le processus créatif de l’artiste entre les objets et les toiles par l’extrême pauvreté de leurs matériaux et leur mise en forme archaïque et rudimentaire.
LES PEINTURES TAUROMACHIQUES ET LES AUTOPORTRAITS
Les peintures tauromachiques et les autoportraits sont plus éloignés de la peinture sur toile, par la nature des supports mais aussi par les motifs qui font apparaître des figures codées de la corrida et le profil de l’artiste. Mais il reste une parenté évidente puisque la peinture s’approprie le support, s’adapte à sa forme et à ses irrégularités et remplit les lignes et les plis tracés naturellement dans l’objet.