Enfin, on vous honore, on vous admire, on vous encense. Première femme portraitiste, vous avez tout inventé, les regards masculins tournés vers le haut pour éviter tout œil concupiscent tourné vers vous au chevalet, si belle, si moderne.
Vous avez encore innové avec les accessoire, mis au placard tiares, diadèmes et falbalas au profit de chapeaux champêtres, de châles, de voiles…vous avez même osé en revêtir la reine Marie-Antoinette, habillée parfois pour les besoins d’un tableau peint par vous d’une simple robe de coton, quelle audace ! Vous avez osé changer les codes de la mode, les cheveux naturels alanguis sur des épaules découvertes.
Votre talent de portraitiste vous a permis très vite de rejoindre les ors de la Cour de Versailles. Qui peut se vanter comme vous d’avoir été proche de Louis XV jusqu’à Louis-Philippe ? En fait, vous n’aviez que de bon s clients, il est vrai que vos tarifs élevés n’étaient pas accessibles au commun des mortels. Vous aviez la nostalgie de la monarchie lorsque vous rencontrez Joséphine Bonaparte. Vous avez quitté ce bas monde alors que s’annonçait la révolution industrielle, presque un déshonneur pour vous qui avez su idéaliser la beauté royale, façonner l’éclat d’un épiderme, la sensualité d’un regard.
Vous êtes une pionnière encore parce que malgré les servitudes de votre carrière vous avez affirmé votre statut en privilégiant votre rôle de mère. Votre autoportrait où vous tenez dans vos bras, Julie, votre fille, c’est aussi fort qu’une Pieta de Michel Ange. On confirme, vous êtes l’incarnation de La Tendresse maternelle. Ce sujet vous tient tellement à cœur que vous avez proposé à votre copine Marie-Antoinette de poser elle aussi entourée de ses enfants. C’était bien vu politiquement surtout au moment de l’Affaire du collier. On y voit la reine tenant amoureusement ses petits et semblant dire, ce sont eux mes bijoux ! Comme quoi, Elisabeth, vous avez su faire de vos pinceaux une arme autant qu’un charme !
« On m’accuse d’avoir pris les tours de Notre-Dame mais elles sont toujours en place ». Que de calomnies a-t-on accusée l’Autrichienne avant de la traîner sur l’échafaud. Le peintre David a immortalisé cette scène par un croquis alors qu’elle passait en charrette sous ses fenêtres. Ce David dont vous vous êtes inspiré dans la composition de certains de vos portraits tout comme Rubens. Malgré vos relations intimes avec le Pouvoir, vous avez eu la chance contrairement, à votre amie déchue, de sauver votre jolie tête, délaissant à Paris votre mari marchand d’art, le plus puissant de sa génération. Il était riche. Chacun sait qu’on a beaucoup jalousé vôtre hôtel particulier rue de Cléry qui aurait, dit-on, inspiré certains aménagements du Louvre. De vos 12 ans d’exil en Italie, Angleterre et Suisse, vous gardez un souvenir ému de la Russie. Lasse, le calme revenu à Paris, vous vous y éteignez à 87 ans, rue Saint-Lazare avec ces derniers mots : « Je n’ai eu de plaisir que de peindre ».