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Fin de cet événement il y a 2 mois - Date du 7 juin 2024 au 16 septembre 2024

CHAGALL POLITIQUE, LE CRI DE LIBERTÉ une exposition itinérante entre Roubaix, Madrid et Nice

La peinture peut-elle sauver le monde ? Chagall qui a traversé une révolution et deux guerres n’a cessé de se poser cette question.

Marc Chagall est né en 1887 à Vitebsk en Biélorussie dans un shtetel, un village de petites maisons aux toits en pente serrées les unes aux autres comme pour se regrouper et se protéger face à l’adversité des progroms du début du siècle, précurseurs des catastrophes à venir. Des isbas enfumées qui sont restés présentes dans son esprit et qu’on reconnaît dans la plupart de ses œuvres. Fils d’un père vendeur de harengs et d’une mère épicière, aîné d’une famille de neuf frères et sœurs, il a vécu pourtant une enfance heureuse, imprégné de culture biblique infusée par sa mère et son grand-père précepteur et chantre de la synagogue où il a appris très jeune la musique et le chant. Déjà enfant, il portait un regard coloré sur le monde : « Ma chambre s’éclairait du bleu foncé, tombant de la fenêtre unique. La lumière venait de loin : de la colline, où se trouvait l’église ». Cette vision ne l’a plus quitté car, dit-il : «  J’éprouve toujours du plaisir à peindre une fois de plus cette église et cette petite colline sur mes tableaux. »
Après de courtes études, il apprend la peinture auprès de Iouri Pen, son deuxième père, dit-il. Très doué, il poursuit ses études à Saint Petersbourg avec Léon Bakst, créateur des décors et ses costumes des Ballets russes de Serge de Diaghilev.

En 1909, il rencontre Bella Rosenfeld, l’amour de sa vie

Un coup de foudre qui ne va cesser de retentir dans ses toiles. Bella est issue d’une famille de bijoutiers fortunée et cultivée. Avec elle, il se passionne pour la peinture hollandaise du XVIIe siècle (Rembrandt, Vermeer, Ruydael, etc.) et pour la Renaissance italienne (Vinci, Michel Ange, Botticelli, etc).
Sa peinture plaît déjà. Grâce à une bourse accordée pour quatre ans par Vinaver, son mécène de l’association pour l’éducation des juifs russes, il rejoint Paris en 1911 à 24 ans.
Il y rencontre la bohème parisienne, s’installe à la Ruche et côtoie Robert Delaunay, Henri Rousseau, Apollinaire. Il se lie d’amitié avec Blaise Cendrars qui parle russe, et surtout passe ses journées au Louvre où il est fasciné par les grandes toiles de Delacroix, Géricault, Courbet

Ne voulant participer à aucune école, son style est singulier : onirique, d’une grande liberté dans ses choix de couleurs et sa vision de l’espace pictural

Il expose au Salon des Indépendants puis dans des galeries où ses peintures ont du succès. De retour à Vitebsk, il épouse Bella en 1915 et réalise à une série d’œuvres magnifiant le bonheur d’un couple planant au dessus du monde.
Il s’enthousiasme pour la révolution russe qui doit changer le monde. Il s’implique et devient commissaire aux beaux-arts, responsable de la vie artistique de Vitebsk où il est installé avec Bella et Ida, sa fille née un ans après leur mariage. Il organise des expositions, crée une école d’art et devient un leader de la jeunesse artistique.
Remplacé en 1919 par Kasimir Malevitch, plus engagé, Marc et Bella, accompagnés d’Ida, s’installent à Moscou où il crée les décors pour le théâtre d’Art Juif. L’enthousiasme révolutionnaire et l’amour de Bella se rejoignent dans ces temps heureux. Il se passionne pour la culture yiddish qui connaît un renouveau dû à l’espoir révolutionnaire d’un monde sans antisemitisme et sans guerre, il écrit en yiddish, peint, illustre des poèmes. Influencé par le peintre métaphysique Vroubel, se œuvres se chargent de puissance symbolique.

Il voyage beaucoup, au gré d’expositions, notamment en Allemagne où ses œuvres ont beaucoup de succès

Revenu en France en 1922, il est un peintre reconnu et réalise sur la demande d’Ambroise Vollard, son marchand, des illustrations pour les « Fables de La Fontaine  » et des eaux fortes d’après les « Âmes Mortes » de Nicolas Gogol.

Vivant en France, et pour fuir l’antisémitisme de nouveau qui s’est de nouveau propagé dans toute l’Europe, il demande et obtient la nationalité française.

La Guerre, 1943
Huile sur toile, 106 x 76 cm
Céret, musée d’Art moderne, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne /
Centre de création industrielle, Paris, don de l’artiste (1953).
Photo : Centre Pompidou, Mnam, Cci © GrandPalaisRmn / Jacqueline Hyde
© Adagp, Paris, 2024

Le mal règne alors, l’ambition, la bêtise, la cruauté et la haine désespèrent le monde. Tel Kafka, son « frère », prophète des malheurs à venir, il est torturé par ses visions et se sent comme Joseph K qui ne sait pas quel crime il a commis.
Ses tableaux considérées comme dégénérés par les nazis sont victimes d’autodafés. Il est exfiltré de France grâce à l’aide de Varian Fry, un journaliste américain qui a pu lui obtenir l’autorisation de le faire partir avec ses œuvres en l’invitant à exposer au musée de l’art moderne de New York.
Sa culpabilité d’être parti alors que ses amis connaissent la destruction, s’exprime dans un poème qui dit sa tristesse :

« De leur tombe inconnue
Ils m’appellent.
Ils me demandent : où étais-tu
 J’ai fui
Eux, on les a jetés aux bains de ta mort
 ».

Le thème de l’exode, si récurrent dans le peuple juif depuis Abraham, s’impose dans ses toiles où on voit les hommes affamés, en guenilles, bâtons de pèlerin à la main, baluchons sur les épaules, les enfants portés dans les bras des mères, les flammes des maisons qui brûlent, les cadavres et les taches de sang dans les rues. L’exode est associé à de grandes crucifixions où le juif Jésus, couvert d’un tallit, le châle de prière, est très haut sur la croix pendant qu’à ses pieds les massacres perdurent et les gens fuient. Le Christ est parfois jaune ou bleu ou rouge, la peinture est sensation, émotion. Elle nous touche et nous traverse.

Chagall peint alors de grandes toiles émouvantes, animées de mouvements intenses et de couleurs vives

Elles redisent ces moments tragiques de l’histoire humaine qu’il vit au plus profond de lui et exprime son intense ressenti dans de très puissantes peintures cinématographiques remplies de personnages aux traits douloureux, aux regards sans espoir, aux mouvements des foules, cortèges funèbres représentant la bouffonnerie tragique de la mort.
Fantasmagorie et irréalité règnent. Dans ses autoportraits, il est le Christ, un ange ou un bouc qui survit au tragique, pinceaux à la main pour affronter les terreurs de la vie.
Aux millions de morts dus à la guerre, s’est ajouté en 1944 celui de Bella, décédée brusquement d’une infection virale, perte irréparable qui continuera au delà de son décès à peupler ses toiles de mariés volants, heureux et planant sur des mondes troublés. Icare ou la chute de l’ange deviennent alors des motifs récurrents. Étrangers partout, les juifs volent pour dépasser les frontières.

Triptyque Résurrection (1937 / 1948), Libération (1937 / 1952), Résistance (1937 / 1948), huiles sur toile de lin.
Résurrection [AM 1988-71] : 168,3 x 107,7 cm
Libération [AM 1988-72] : 168 x 88 cm
Résistance [AM 1988-73] : 168 x 103 cm
Nice, musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création
industrielle, Paris, dation (1988). Photos : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot
© Adagp, Paris, 2024.

Ses œuvres, d’un humanisme radical et profond sont un cri pour la paix entre les hommes et l’amour

Il voudrait par ses toiles changer les monde. Il sent bien qu’il n’y arrive pas et remet son ouvrage incessamment, ce qu’il fera jusqu’à son décès.

Cette exposition « le cri de la liberté » qui recouvre l’ensemble de son œuvre, montre un Chagall différent, concentré, douloureux comme dans ces deux toiles intenses, plus que sombres, carrément noires, exprimant la douleur d’un artiste face à la tristesse d’un monde en proie aux guerres, à l’extrême bêtise, à la cruauté, à la haine de l’homme pour l’homme. L’artiste se veut prophète dénonçant les errements du monde, délivrant des messages.
Figure lui-même du juif errant et espérant, Chagall a vécu l’histoire tragique du plus terrible siècle de l’humanité qu’il nous retransmet par ses couleurs, ses ciels immenses et troublés où survolent des hommes, des animaux, des instruments de musique, mais aussi des gens qui s’aiment.
Il a fait, dit-il, des tableaux comme des « larmes suspendues dans le ciel  ».

Exposition jusqu’au 16 septembre au Musée Marc Chagall

Visuel de Une (détail) Le Cheval roux, 1967
Huile sur toile de lin, 121 x 213,7 cm
Nice, musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou,
musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle,
Paris, dation (1988).
Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot.
© Adagp, Paris, 2024

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