La souris, le perroquet et l’artiste
Le statut des artistes et leur rapport à la technique a beaucoup fluctué.
Jusqu’au XIXe siècle, les artistes comme les artisans étaient soumis à la commande venant essentielle-ment de l’église et des puissants. Comme l’artisan, l’artiste avait un cahier des charges précis (les peintres devaient représenter tel saint à tel endroit, tel décor, telles couleurs, etc.)
Une nouvelle figure de l’artiste, s’autorisant de lui même, génial et incompris, créant son œuvre en dehors des académies et des marchés, incarnée par Vincent Van Gogh, s’impose à partir des Impressionnistes.
Dans les années 1910, l’art conceptuel duchampien va un constituer un nouveau paradigme.
L’artiste délaisse les techniques traditionnelles de peinture et de sculpture pour utiliser des objets, réaliser des collages ou travailler sur des concepts.
Face à l’artisan, maître des règles, l’artiste contemporain veut n’obéir à aucune et sa création, libérée d’une quelconque recherche utilitaire, s’ouvre sur l’infini des possibles.
Si l’art moderne a créé un art de remise en cause du monde ancien et de ses repre ?sentations, l’art contemporain franchit une nouvelle étape en refusant toute norme, y compris celles des courants artistiques. Il se rend indépendant de toute re ?gle ou obligation moraliste et utilitariste. En un siècle voué à l’utilité, il devient capital d’attirer l’attention sur l’inutile. "Il n’y a rien de plus utile que les arts inutiles (...) Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art" (Ondine, Utilité de l’inutile), et pour Cioran : "toute forme d’élévation suppose l’inutile". La littérature va alors fourmiller de textes renvoyant l’utile à sa place, "celle des latrines, la seule chose vraiment utile dans une maison" !
Non utilitaire, gratuit, de ?sinte ?resse ?, l’art d’aujourd´hui vise à une perception e ?largie et approfondie du réel et surtout à trouver une façon particulière de le dire autrement.
Après s’être autonomisé et éloigné des techniques, il semble que depuis quelques d’an-nées, de nouvelles technologies se développant (informatique, robotique, nouveaux matériaux, outils de précision, etc.), nombre d’artistes, parmi les plus célèbres, s’entourent d’ingénieurs et de spécialistes pour réaliser leurs œuvres.
Cette nouvelle exposition expérimentale de la Villa Arson interroge les types de relations entretenus entre l’art et la technique.
Les approches de près de cinquante artistes nous montrent la complexité et la diversité de leurs interactions.
Dans l’espace reconfiguré du Centre d’Art, l’exposition est placée sous le signe de Dédale (de dedalos, artistement travaillé), le célèbre architecte qui a conçu le labyrinthe pour en-fermer le Minotaure. Selon Platon (dans le Ménon), ses statues étaient "si saisissantes de vérité qu’il fallait, selon la légende, les enchaîner pour les empêcher de s’enfuir". Considéré aussi comme l’inventeur des automates, cet homme rusé et ingénieux est l’ancêtre des artistes bricologues ("bricologie" venant de l’association des mots bricoler et technologie).
Pour une approche originale, les concepteurs de l’exposition : Burkard Blümlein, Sarah Tritz, artistes, et Thomas Golsenne, historien de l’art, ont choisi de confronter des objets ethniques avec des œuvres contemporaines.
L’exposition se décline en différents thèmes.
– Artisanat.
L’opposition entre artiste et artisan n’est plus si nette. Ainsi, des objets provenant de l’artisanat (moule à raviolis, contrebassons, enseigne, bijoux) ont des plastiques proches de la sculpture. Thomas Thwaittes, par exemple, tente de construire un grille pain électrique à partir des matériaux bruts (minerai de fer, mica, etc.)
– Bricolage.
Thème illustré entre autres par l’œuvre "Briquolage" de Robert Filliou (installa-tion de briques, bouts de ficelle, loupes, miroirs, etc), par la double porte de Marcel Duchamp, qui ferme une pièce en ouvrant une autre ou les oiseaux mécaniques de Panamarenko, etc.
– Gestes.
L’art se fait avec les mains, nos premiers outils. Sont présentés les "Creux" en verre de Arnaud Vassieux, les objets en aluminium, en bronze, cuits au four à haute température de Stephen Maas, etc.
– Magie.
Doigts prestes du prestidigitateur, camera obscura et trompe l’œil apparaissent magiques, fascinantes, extraordinaires.
Voir les travaux sur le verre de Dominique Blais avec le CIRVA ou de Richard Deacon et Bill Woodrow sur le geste du souffleur de verre, etc.
– Processus.
Est-il plus important que l’œuvre finale ? Différentes chaînes opératoires sont présentées : Nœud soufflé de Jean-Luc Moulène, les créations à partir de déchets de Jean-Marie Perdix au Burkina Faso (problématique du développement durable appliquée à l’activité artistique), Vélo et fauteuil (en matériaux interchangés), une sorte de ready made inversé de Simon Starling, etc.
– Projet.
Ce sont les maquettes, les propositions qui sont les œuvres. Pour Lewitt (inventeur de l’appellation "art conceptuel"), seule l’idée est importante. Sa matérialisation qui relève de l’artisanat peut être déléguée ("Wall Drawing"). Sont présentés également la "Bague alarme" de Stéphane Bérard, "À Louer" de Émilie Parandeau, etc.
– Technologie.
Créations reposant sur des mécanismes complexes, comme le superbe Panœuptique de Loic Pantaly, une œuvre présentée comme une structure mentale. Pour montrer le processus de la construction de l’œuvre en même temps que l’évolution mentale du créateur, Pantaly crée un univers autonome où sont étroitement liés principes de gestation et mouvement perpétuel. Le processus de création apparaît comme une machinerie incluant écritures, dessins, sons, vidéos, courroies, etc., le tout sans logique de lecture, mettant le regardeur dans la position d’enquêteur, de chercheur de sens.
Pour rendre la parole aux objets, Delphine Reist a conçu des étagères où les outils courants (perceuse, ponceuse, etc.) sont mis en vitrine, devenant l’œuvre elle même.
Il se mettent en marche à des temps indéterminés pour provoquer la surprise, voire la frayeur.
– Virtuosité.
Savoir faire poussé aux limites de l’excellence. Artschwager et ses faux meubles en Formica, Wim Delvoye et sa bétonneuse en bois (sculpture réalisée par des artisans indonésiens), le camélia sculpté de Yoshiro Suda, etc.