Ce portique qui a fasciné le jeune Bertrand l’a en tous cas mis sur la piste de l’Art Roman. Il fait ses études d’histoire à Montpellier, travaille surtout sur la période médiévale avant de découvrir la préhistoire.
L’histoire avant l’écriture, celle des débuts de l’humanité va le passionner et le faire bifurquer.
Le début de l’hominisation, les périodes paléolithiques, néanderthaliennes l’intéressent, mais c’est à l’origine du feu qu’il consacre sa thèse de doctorat. Il fait des fouilles à Tautavel, dans l’Aude, en Grèce, dans le Peloponèse, etc. Il élabore des méthodologies pour reproduire les gestes et les techniques de nos grands-ancêtres et les re-pratiquer.
Devenu un grand spécialiste du feu, on lui propose un poste à Nice, où justement a été découvert en 1966 un des plus anciens foyers de l’histoire de l’humanité, datant de près de 400 000 ans - Peut-être le plus ancien..., les Niçois auraient-ils « inventé » le feu ?!
Pour nos ancêtres chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, le feu a été une invention majeure qui a fait puissamment progresser l’humanité.
Bertrand nous en explique ses multiples fonctions : il éclaire, permettant à l’homme d’imposer son rythme à la nature, il cuit la nourriture, rendant plus molles et digestibles les viandes, les céréales, les légumes, etc., tout en aiguisant le goût. Il structure l’habitat autour de lui, autorise les repas en commun, faisant naître la socialité, le développement du langage, l’échange, le partage des connaissances.
Nos ancêtres sapiens (sachant) avaient une conscience aiguë de leur environnement. Ils connaissaient les arbres, les vertus des plantes, chassaient en groupe, voyageaient (à Terra Amata, on a trouvé des pierres venues de l’Escarène, de Cannes ou de San Remo, et probablement de plus loin). Ils devaient aussi scruter le ciel, les étoiles.
Bertrand Roussel connaît toutes leurs techniques : il sait allumer un feu avec un percuteur, un morceau de marcassite et un peu d’amadou, ou par la friction de deux morceaux de bois par giration. C’est même ce qui l’intéresse le plus, retrouver leurs gestes et transmettre sa passion de la préhistoire.
Les fouilles ont permis de déterrer beaucoup de matériel permettant (pas toujours) de comprendre le mode de vie et les techniques utilisées, mais le moment magique pour Bertrand a été celui où il extrait de terre une pierre taillée et se rend compte que 400 000 ans le séparent du dernier homme qui l’a touché ! Une immense émotion.
Le seul reste humain découvert est un fragment de canine d’un enfant de sept ans, mais de nombreuses traces d’occupation sont visibles.
Ces recherches nous apprennent que les hommes de Terra Amata avaient construit leur abri de branchages et de peaux sur la plage (la période était tempérée).
À l’époque, la colline du château entourée par les deux bras du Paillon était une île. Tout près, (place Garibaldi aujourd’hui), des éléphants se baignaient dans les marais..., des éléphants à Garibaldi ! Il y avait aussi des cerfs, des sangliers, des daims, des aurochs et beaucoup d’autres animaux dont certains ont disparu. Parmi les ossements mis au jour, certains montrent des traces de découpe dus à l’activité humaine. On imagine aussi qu’ils pêchaient dans les rochers d’où ils extrayaient des huîtres, des moules, des coquillages. Ils cueillaient des baies, des champignons, des fruits (un grain de raisin a été découvert sur le site - le futur vin de Bellet ?).
Humains donc artistes, il savent tailler des bifaces dont l’esthétique dépasse la fonction (paléo design). Ils utilisent de l’ocre pour peindre leurs corps, dessiner sur les peaux ou sur les parois. Il est très probable qu’ils chantaient, jouaient de la flûte (en os) ou des tambours (même si on n’en a pas encore trouvé de traces matérielles).
Les premières peintures rupestres trouvées dans des grottes datent environ de 40 000 ans, mais les préhistoriens vont certainement en découvrir d’autres...
En 2016, le Musée de Terra Amata été réhabilité et scénographié par deux de nos meilleurs artistes plasticiens : Marcel Bataillard et Kristof Everart. On y découvre avec émotion l’empreinte glissante d’un pied humain dans la glaise, des reconstitutions des cabanes, des éclats de pierre taillées, etc.
À la suite d’une réorganisation administrative, Bertrand Roussel hérite de la direction du musée d’Archéologie, l’obligeant à faire un bond dans l’histoire de 350 000 ans.
Celenelum est aussi un site majeur, un des plus vastes et plus beaux ensembles de France concernant la période romaine. Situé sur la voie Julia Augusta qui rejoint Rome, la ville a été créée après que les armées d’Auguste aient fini de soumettre une cinquantaine de tribus cisalpines (le Trophée de la Turbie a été bâti pour célébrer l’événement).
Cemenelum, au départ une garnison, s’est développé très vite. Pour romaniser la région, une ville d’environ quatre mille habitants (contenance des arènes) s’est élevée. Les trois grands ensembles thermaux (comprenant bains et palestres) qui ont été construits semblent disproportionnés par rapport à la population... on ne sait pas encore pourquoi... Les bains étant ouverts à tous les citoyens attiraient probablement les gens alentours.
Cemenelum est devenue une ville très vivante avec des commerces, des artisans, des lieux de plaisir, etc.
Nikaia la Grecque, en bord de mer, accueillait les bateaux, mais l’essentiel du commerce passait par la via Julia.
Après les Romains, à partir du cinquième siècle, les premiers chrétiens transforment le site en construisant une cathédrale et un baptistère sur les thermes de l’ouest.
Cemenelum se dépeuple progressivement au profit du bord de mer. Les niçois s’installent sur la colline du château, puis sur ses abords qui deviendront la ville moderne.
Considérant qu’il est important d’établir un dialogue entre les époques Bertrand Roussel, homme paisible et créatif, invite des artistes contemporains à interroger les collections des musées.
Plusieurs expositions ont été déjà initiées : « Les Temps Suspendus », avec Henri Macchéroni et Michel Butor, « Meta Archéologie » avec Florian Schönerstedt, « Gisements Futurologiques » avec Olivier Garcin.
Cet été, « Sosno Squatte l’Antique »
Passionné et inspiré par l’archéologie, Sacha Sosno rêvait de faire une exposition au milieu du site, comme un clin d’œil d’artiste à travers le temps.
Ses œuvres, plus de cent, mises en scène par sa femme Mascha et Bertrand Roussel, vont bientôt (en mai) établir un dialogue fécond avec les ruines par delà les siècles.
Relier les époques, tendre la main à nos ancêtres, c’est aussi le rôle de l’art.