Le phénomène a pris une telle ampleur que le MuCEM s’y est d’abord intéressé sous la forme d’une « enquête-collecte » destinée à enrichir les collections. Devant l’intérêt des résultats de la recherche, il fut décidé d’organiser sous le titre « Le Monde à l’Envers » une exposition consacrée aux pratiques carnavalesques contemporaines.
Mais qu’est-ce que le carnaval ?
On regroupe aujourd’hui sous cette appellation des manifestations très différentes :
les parades urbaines, liées ou non au calendrier liturgique, anciennes ou récemment inventées
les mascarades rituelles de l’hiver, qui commençaient parfois à la Toussaint, caractérisaient ailleurs la période des 12 jours ou de l’Epiphanie ou les « jours gras » précédant le carême. Revisités, ces rites masqués connaissent aujourd’hui un renouveau général les carnavals tropicaux, qui connaissent un succès planétaire. Ils fascinent les Européens qui s’y rendent et sont pratiqués en Europe comme une fête identitaire par les immigrants originaires de la Caraïbe ou de l’Amérique du Sud.
Les rites masqués de la rive sud de la Méditerranée : mascarades de l’Aïd-el-kebir et de l’Achoura dans les zones berbérophones du Maroc, nouvel an berbère (Yennayer) dans l’Algérie Kabyle, Pourim juive. Les mascarades berbères intégrées au calendrier islamique lunaire connaissent aujourd’hui une relance en tant que fêtes berbères anté-islamiques et se transforment parfois en carnavals urbains, comme à Inezgane, dans la région d’Agadir. Comme les parades de Pourim en Israël, les carnavals marocains actuels relèvent d’une culture mondialisée du carnaval, qui mêle comportements transgressifs, arts de la rue, revendications identitaires et joie de participer à la fête.
Si différentes à première vue, ces manifestations ont beaucoup en commun : des personnages archétypiques, que l’on retrouve dans les villes comme dans les campagnes, des comportements récurrents (excès alimentaire, licence sexuelle et scatologie, inversions en tous genres, droit des masques à révéler les inconduites et à critiquer la politique locale ou internationale), mais surtout des représentations communes de la fête.
La liberté du carnaval, ses transgressions, ses jeux de masques, son impertinence, sa capacité à mettre en scène les diverses composantes sociales de façon souvent polémique appartiennent à un fonds commun, admis par tous. Le carnaval apparaît aujourd’hui comme une culture commune aux sociétés de l’espace euro-méditerranéen et à celles qui en sont partiellement issues, un substrat très ancien, fait d’emprunts réciproques et de métissages.
La plupart des « carnavaleux » savent qu’il s’agit d’une fête largement répandue dans le temps et dans l’espace, même s’ils y participent surtout pour se sentir membres de leur communauté. Vécu à la fois comme une fête identitaire et universelle, le carnaval, par ses jeux de masques et de dévoilement, nous parle des sociétés contemporaines.
L’exposition « le Monde à l’Envers »
Il y a bien des façons d’envisager une exposition sur le carnaval, notamment autour du masque et du déguisement, de la folie collective, en proposant une description historique et typologique des différentes fêtes ou encore une approche plus technique sur les arts de la rue et les savoir-faire développés par les carnavaliers comme par les particuliers, qui donnent libre cours à leur imagination dans la confection des costumes et l’élaboration des chars.
L’exposition « Le Monde à l’Envers » développe un autre point de vue. En effet, après avoir arpenté de 2008 à 2012 des terrains aussi différents que les mascarades des Pyrénées ou des Balkans et les carnavals urbains de Cayenne, Dunkerque ou Notting Hill, il est apparu que la richesse des pratiques carnavalesques actuelles tient aux représentations que l’on en a. L’une des principales raisons du renouveau actuel des carnavals et mascarades est la fascination qu’exercent, sur un public en quête de sens et d’authenticité, les caractères archaïques de la fête carnavalesque. Partout, les mascarades rurales et les carnavals dits « traditionnels » ou « historiques » renaissent, en s’appuyant parfois sur les écrits des ethnologues ou des folkloristes de la fin du XIXe siècle. Acteurs et spectateurs évoquent le besoin de perpétuer un rite « ancestral » et propre à leur communauté, même s’ils le réinventent en grande partie.
L’exposition « Le Monde à l’Envers » invite donc à un voyage dans l’imaginaire carnavalesque. Le parcours comporte des moments d’immersion puissants et jubilatoires et des temps de réflexion sur ce que cette fête nous apprend de nous-mêmes et des sociétés contemporaines