On aurait pu croire que cette exposition serait placée sous haute surveillance tant Andres Serrano a connu bien des vicissitudes avec certaines de ses œuvres considérées comme sacrilèges.
« Piss Christ » la photo qui fut vandalisée à plusieurs reprises notamment en 1997 à Melbourne et en Avignon à coup de marteau en 2011 est absente de ce parcours.
Pour autant d’autres pièces de cette série Immersions comme la Vierge à l’enfant, photographiées dans un bain d’urine et de sang occupe une salle.
Mais jusqu’ici tout va bien.
Pas de manifestations comme l’été dernier devant le Palais Fesch à Ajaccio, ni de commando pic à glace ! Si bien que l’exposition qui devait se clore le 10 juin a été prolongée jusqu’au 30 aout. L’intégrisme catholique serait il aussi changeant que les humeurs que photographie Serrano ? Il est plus raisonnable de penser que c’est l’œuvre « Piss Christ » qui déchaine les passions. Ce fut d’ailleurs à cause de celle-ci qu’en 1987 dans l’Amérique conservatrice de Georges Bush père, l’artiste alors inconnu, dû comparaitre en procès au Sénat.
Pourtant « Piss Christ » selon son auteur n’a rien de provocant « J’ai pris un crucifix, car c’est un objet banal en Amérique du Sud […]. Si en faisant appel au sang, à l’urine, aux larmes, ma représentation déclenche des réactions, c’est aussi un moyen de rappeler à tout le monde par quelle horreur le Christ est passé ».
En tous cas pas de chemin de croix pour Andres Serrano !
Depuis la fin des années 80 les nombreux scandales, vandalismes, actions de militants catholiques, articles autour de ce cliché (dont le négatif est intact) ont fait monter sa cote.
Si vous ne connaissez pas encore l’œuvre de ce photographe originaire du Honduras et d’Haïti né à New York en 1950, cette exposition vous permettra de vous faire votre propre opinion de son univers et de ses travaux qui depuis 30 ans ont fait le tour du monde des grandes institutions.
Yvon Lambert, a été le premier marchand français à s’intéresser à lui. On avait d’ailleurs déjà pu découvrir quelques-unes des photographies de Serrano dans ce même château lors de la venue du collectionneur à Vence en 2010 afin de célébrer les dix ans de sa collection en Avignon. Le cabinet de 42 portraits d’acteurs de la comédie française y avait été montré tout comme le Christ Noir moins stigmatisé lui.
Cette exposition monographique passe en revue par salle thématique les différentes préoccupations de l’artiste. D’origine Latino hispanique on ne s’étonnera pas d’y trouver en bonne place la mort et la religion.
Cadavres exquis
La mort trouve une de ses représentations les plus emblématiques via une série réalisée sur des cadavres. Le photographe avait réussi en 1991 à s’introduire dans une morgue new-yorkaise afin de réaliser la série The Morgue. La première impression n’est pas que morbide tant ces clichés sont traités comme des tableaux pour certains quasi romantiques (Homicide). Mais à la lecture des titres empruntés à la médecine légiste l’horreur reprend ses droits (Sida, Suicide, Child Abuse etc).
Avec cette série on comprend pourquoi Serrano a toujours déclaré utiliser « la photographie comme un peintre utilise sa toile ». Les références à Goya, Géricault, Velasquez y sont évidentes. Pas de doute c’est réussi !
On oublie presque que le photographe s’est servi de son appareil et la beauté de ses cadavres est indéniable !
Dans une autre salle avec Fluids, Serrano, photographe laborantin dévoile sa matière première : du sang, du sperme, de la salive, de l’urine, ses propres humeurs comme des toiles abstraites. Une palette dont il se servira pour ses immersions dont fait partie Piss Christ, où l’urine et le sang, ses fluides corporels se mêlent au spirituel comme une transfiguration de l’eucharistie (Ceci est mon corps, ceci est mon sang) avec ce même souci d’esthétisme qui renvoit une fois de plus à la peinture.
Rédemption à la chapelle du Rosaire
Serrano a toujours revendiqué être croyant depuis sa plus tendre enfance. Et il le prouve en consacrant une série à la Chapelle Matisse en 2015. L’artiste chercherait-il à brouiller les pistes de ses détracteurs ?
Ferait-il pénitence pour s’absoudre de ses œuvres impies ?
On y voit d’ailleurs un visage comme reclus derrière des barreaux (celui d’un confessionnal), et non loin le Père Trotabas de la Chapelle du Rosaire posant dans une chasuble signée Matisse. Là encore deux saynètes de la liturgie quotidienne : un jeune homme sur les bancs de la chapelle et une dame âgée en génuflexion devant l’autel (une amie d’Yvon Lambert). Cette salle aux portraits plus sages renvoyant à l’iconologie de Caravage ou Rembrandt serait-elle celle de sa rédemption ? C’est l’impression qui s’en dégage car on est bien loin de l’esprit sulfureux des autres cabinets.
American dream
D’autres portraits jalonnent l’exposition. Dès la montée des marches de la Fondation on est accueilli par une galerie de personnages connus ou inconnus.
Une étrange famille recomposée après les événements du 11 septembre. Andres Serrano avait photographié alors un pompier. L’exposition débute avec ce portrait et d’autres qui se déploient dans les escaliers du château : Yoko Ono, côtoie un cireur de chaussures, une ancienne star du porno, une jeune Miss America, une rescapée des Camps de la mort, le rappeur Snoop Dog etc... L’usage de la pellicule cibachrome, qui donne une coloration très chaude, prolonge la fascination qu’exerce sur ce photographe l’art pictural.
Serrano aime prendre des risques.
Lorsqu’il téléphone à plusieurs haut dignitaires du Ku Klux Klan pour faire leur portrait, ils acceptent. Ce n’est qu’en voyant la couleur de peau de l’artiste que certains se rétractent. Quant à ceux qui ont joué le jeu leur regard est glaçant à travers les trous de la cagoule de sinistre mémoire.
A coté une autre série renvoie cette violence : gros plans d’armes à feu : canons, barillets de revolver, étincelants, fétichisés par le photographe comme par ceux qui les utilisent. Depuis l’épopée du Far West l’Amérique célèbre les vertus de l’auto-défense. Hollywood s’en fit le chantre de John Wayne à Dirty Harry via Bronson ou Charlton Heston.
D’autres artistes s’étaient déjà emparés de cette problématique. Robert Longo avait présenté une impressionnante sculpture au MAMAC, une sphère composée de 8 000 balles de revolver. Le nombre exact de personnes tuées par balles en 1993 aux USA.
Retour aux sources
D’autres travaux de Serrano moins spectaculaires et peut être plus intéressants humainement sont présentés comme la série Nomads : Des portraits de sans abris pris à New York en 1990.
Cette fois Serrano ne surjoue pas : fond neutre clair, les visages sont comme gommés, effacés, disparaissant parfois dans l’ombre tel des spectres urbains en passe d’être happés par la grisaille.
Un travail sobre, pudique mais très efficace qui mise sur la présence/absence pointant la précarité qui est le quotidien de ces marginaux.
Un autre travail plus récent tranche encore plus avec les investigations esthétisantes de l’artiste. Il s’agit d’une série réalisée à Cuba après le décès de sa mère. Serrano est revenu au pays comme une nécessité de renouer avec ses origines de descendant d’esclaves venus d’Haïti et de Cuba. Là, les photos parlent d’elles même. L’artiste plasticien est devenu reporter photographe. La misère est bien présente mais l’humain aussi. On peut respirer, espérer !
Un artiste religieux incompris ?
Cette exposition laisse un gout d’inachevé non pas par son potentiel de provocation, mais par sa manière. On n’en ressort pas vraiment convaincu d’avoir vu quelque chose de nouveau, tant les allégories aux grands maitres du clair obscur sont omniprésentes renvoyant la photographie à un succédané de peinture ?
Aussi même si Serrano est juste dans sa déconstruction des mythes on regarde la plupart des ses œuvres comme on regarderait un hommage ou une expérience in vitro.
In fine l’exercice de style reste assez froid, distant, sans pour autant avoir ce détachement, cette énergie du vivant qui permettrait au regardeur de s’approprier l’œuvre.
Dommage pour un artiste qui aborde des thèmes aussi proches de l’humain !
Et si Andres Serrano ne méritait ni les procès en sorcelleries qu’on lui a fait, pas plus que les tapis rouges du cénacle de l’art contemporain ? Et s’il n’y avait pas eu autant d’abattages autour de Piss Christ, d’un coté comme de l’autre ? La religion catholique fut largement convoquée par bien d’autres créateurs avant lui et souvent avec plus d’éloquence, de véhémence d’Artaud à Buñuel ?
En cela, n’en déplaise à ses détracteurs, Andres Serrano prouve qu’il est un peintre religieux qui utilise la photographie. Nul doute pour Eric Mézil (Directeur de la Collection Lambert et Commissaire de l’exposition) à propos de Piss Christ : « Ce qui est donné à voir par l’artiste n’a rien de choquant, l’image est même classique, fusionnelle, énergique et belle. Le Christ est lumière comme dans les premiers écrits, là, il devient feu ardent, incandescence, fusion ».
Serrano est probablement un créateur digne de foi mais il est bien difficile de savoir qui se cache derrière ce paravent de références plasticiennes plus ou moins bien digérés/digérables et quel est sa position tant ses travaux mettent sur le même plan le mysticisme le plus exalté et le liturgique le plus solennel.
Peut être à sa décharge, une séquelle de sa culture originelle où se mêle confusément rites vaudou et ferveur christique ?