Cela fait plus d’une cinquantaine d’années qu’Alain Sabatier explore l’image photographique à partir d’un regard très particulier : celui du peintre.
Dans le milieu des années 1970, Alain Sabatier est attiré par l’ethnologie, l’histoire et le patrimoine. Pour exercer in situ ce regard documentaire, il s’établit à Grasse où il entreprend un travail photographique personnel en noir et blanc : Grasse et la parfumerie, capter l’instant du changement. En effet, cette période marque la fin de la grande époque de la parfumerie (avant le renouveau des années 1990-2000).
Alain Sabatier s’est donc concentré à montrer les derniers instants de cette activité et l’esprit de la ville des années 1970. Bétails et champs sillonnaient les campagnes avant le mitage du territoire dû à la pression immobilière ; foires et marchés animaient le centre-ville avant le développement des zones commerciales ; cueilleuses et courtiers en fleurs rythmaient les moments de la journée ; des canalisations traversaient les rues et apportaient la vapeur dans les usines depuis la chaufferie centrale ; les usines achetaient en grande quantité la graisse de porc pour l’enfleurage ; cheminées et serpentins aériens marquaient le paysage urbain. Nombre de ces instants ont été capturés par Alain Sabatier dans son travail artistique d’une rigueur documentaire.
Les 70 tirages photographiques grand format que le Musée International de la Parfumerie présente pendant cette exposition représentent un échantillon de sa démarche.
"Grasse est bien le sujet principal de chacune de ses photographies : la ville a changé rapidement à partir des années 1970 et c’est, selon Alain Sabatier, cette conviction des prémisses de transformation qui l’ont poussé à entamer son travail. Cette transformation assez radicale a laissé, chez de nombreux grassois, lorsqu’on les interroge, un souvenir, une image d’un passé assez radieux et idéal, comme un paradis perdu du territoire urbain et rural. Avec ses 70 images, nous avons aussi cherché à mieux matérialiser ce sentiment, cette idée de cette ancienne cité disparue".
" Devant nous, c’est un ouvrier qui déjeune d’un sandwich devant un alambic dans un atelier : il nous regarde, sans nous voir, comme s’il était seul à cet instant précis.
Sur une autre image, c’est un employé de mairie durant une pause qui feuillète tranquillement un journal dans son camion municipal, lui aussi, comme seul au monde. Ailleurs, on peut voir un groupe de personnel d’usine en blouse blanche se hâter vers la cantine, heureux de sacrifier ainsi à une routine quotidienne répétitive mais toujours agréable. Toutes ces photographies d’Alain Sabatier, prises sur le vif, sont des instants du passé qui surgissent brusquement devant nous sans fards, sans préparations ni montages, ni répétitions. Pourtant ces scènes quotidiennes sont construites avec rigueur, la composition, même lorsqu’elle est dynamique, est impeccable. Le spectateur est immergé dans ce moment unique et fugace de vie désormais immortalisé par cet art photographique qui atteste dans ces « clichés » de scènes de genre toute sa particularité et explore des espaces que n’avaient jamais pu atteindre les arts graphiques ou la peinture".
Olivier Quiquempois Conservateur du patrimoine Directeur des Musées de Grasse