La Promenade des Anglais, peut-être plus que tout autre littoral, suscite rêverie, joie de vivre, fantasmes et clichés.
À la joie de vivre des peintres modernes venus parachever leur oeuvre sous le soleil azuréen, succède la désinvolture des contemporains qui n’hésitent pas à s’approprier ce lieu de sociabilité pour en faire un atelier à ciel ouvert où l’on se rencontre et où l’on refait le monde. Dès l’après-guerre, la baie des Anges se mue en un théâtre d’actions artistiques qui vont bouleverser la trajectoire de l’histoire de l’art : du partage du monde imaginé entre Klein, Arman et le poète Claude Pascal en 1947 en passant par la découverte des potentialités du charbon par Bernar Venet en 1963 jusqu’aux performances de Ben ou de Pierre Pinoncelli dans les années 1960-1970. À l’instar de la Restructuration Spatiale n°5 de Noël Dolla, l’investissement de la Promenade des Anglais est aussi, après le choc pétrolier de 1973, une manière de s’inscrire contre le marché et l’institutionnalisation de l’art. Plus récemment, enfin, les nouvelles générations prennent plaisir à détourner l’imagerie de plaisir et d’insouciance que véhicule la Côte d’Azur.
Témoin d’événements manifestes, théâtre d’actions et d’installations éphémères, lieu de rencontres et de discussions, sujet d’inspiration et de détournement, l’arc azuréen demeure un laboratoire d’expressions artistiques sans cesse renouvelées.
L’histoire matérielle et immatérielle, esquissée dans cette exposition, restitue l’extraordinaire créativité qui anime la Côte d’Azur de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui. L’exposition se situe au troisième et dernier étage du musée. Elle restitue la richesse et la diversité de ces actions et réalisations dans un parcours
chronologique associant oeuvres d’art et documents photo, vidéo et audio afin de s’inscrire au plus près de cet atelier que constitue la Promenade pour les artistes.[1]
Dans ce formidable terrain de jeu, les artistes font de la Promenade et des sorties en bord de mer un outil de création et de résistance. Sous ses apparences légères et frivoles, la Promenade des Anglais révèle son rôle activiste. Les Enfants de la Promenade n’ont pas fini de faire vibrer la planète.
Liste des artistes exposés
David Ancelin, Arman, Ben, Baptiste César, Jean-Robert Cuttaïa, Gilbert
Della Noce, Noël Dolla, Céline Fantino, GARAGE 103-Olivier Garcin, Claude Gilli, Yves Klein, Thierry Lagalla, Virginie Le Touze, Stéphanie Marin, Jean Mas, Élisabeth Morcellet, Philippe Perrin, Pierre Pinoncelli, Stéphane Steiner, Cédric Teisseire, Bernar Venet, Rémi Voche.
QUELQUES DATES
1947 Yves Klein, Claude Pascal et Arman se partagent le monde : Klein s’approprie l’infini bleu du ciel ; Claude Pascal, le poète, s’empare de l’air ; la terre et ses richesses reviennent à Arman. Yves Klein, Éliane Radigue, Arman et quelques amis réalisent un soir d’été une séance de glossolalie, préfigurant la Symphonie Monoton-Silence d’« Yves le monochrome ».
1950 Arman peint des huiles sur toile du bord de mer « très Côte d’Azur ».
1959 Arman réalise à l’hôtel Ruhl à Nice une accumulation de 60 porte-manteaux qu’il intitule Les Fleurs.
1962-1963 Dans le cadre du Festival Fluxus, Ben et ses complices exécutent des performances Fluxus. Par ces actions très sommaires (dérouler un rouleau de papier, jouer du violon avec un crayon, tracer un trait droit), l’esprit Fluxus infiltre l’air azuréen.
Ben s’installe, au milieu de la Prom’, muni d’une pancarte « Curieux », « Regardez-
moi » puis « Regardez-moi cela suffit », reste ainsi pendant une heure et déclare ces actions « oeuvres d’art ». De véritables attroupements se forment, comme le jour où il décide de se regarder une heure dans un miroir. Ben se couche au sol en attendant que son réveille-matin sonne (Homme couché), gonfle un sac en papier avant de l’éclater pour produire un son (Music 11). Ben attaché entre à petits pas dans la mer, tout habillé et avec un parapluie (Attachage). Avec son ami Barathon, il regarde un réveille-matin (Attendre que le temps passe). Ben signe et déclare « oeuvre d’art » la ligne d’horizon ainsi que la vie en invitant les passants à franchir un cadre sur lequel est écrit « Je signe la vie, entrez ». Suite à la découverte des potentialités d’un tas de goudron et de charbon dans le jardin Albert Ier, Bernar Venet réalise ses premières installations de tas de charbon dialoguant avec l’espace d’exposition et le spectateur.
1966 Ben court sur la plage et déclare cette action « oeuvre d’art ».
1967 Ben cire les chaussures des autres, regarde les passants ou s’assoit au milieu de la Promenade des Anglais et décline plusieurs pancartes : L’essentiel est de communiquer.
1970 Le 4 juin, Pierre Pinoncelli part à bicyclette depuis la Promenade des Anglais en direction de Pékin, bien décidé à « porter à Mao un message de paix de Martin Luther King. »
1971 Plusieurs actions de Ben, non enregistrées à l’époque, seront refaites pour les besoins du film Gaumont.
1975 À l’embouchure du Paillon, le dimanche 17 décembre, GARAGE 103 met le feu aux poudres avec la performance Feu d’artifice en plein jour.
1978 Élisabeth Morcellet réalise, sous l’objectif de Jacques Miège, la performance
Baie des Anges sur la plage des Ponchettes.
1980 Arman crée une série d’Accumulations de jetons du Palais de la Méditerranée. Claude Gilli installe son chevalet au milieu de la foule du mois d’août et réalise une peinture aux escargots devant un modèle en monokini (performance Sur le motif).
Noël Dolla, dans le cadre de son exposition personnelle à la GAC [Galerie d’Art Contemporain des Musées de Nice], propose une intervention éphémère intitulée Restructuration Spatiale n°5, constituée de trois cratères colorés de trente mètres de diamètre et de cinq mètres de profondeur s’étendant du rivage jusqu’à la digue.
1983 Invité à la GAC, Gilbert Della Noce laisse la galerie vide et met à l’eau son Radeau-Cheval. Toujours dans le cadre des expositions de la GAC, Ben propose de dormir autrement et se fait transporter par une grue au-dessus de la Promenade.
1994 Philippe Perrin met en place le simulacre d’une campagne électorale intitulée « Blanc comme neige » prenant pour décor « La Baie des Requins ».
1996 Jean Mas appose sans autorisation des panneaux « À vendre » sur la Prom’.
2002 David Ancelin réalise Titanic qui inaugure une série de sculptures en écho au bord de mer.
2004 Arman réalise, de manière pérenne, une accumulation de chaises bleues sur une des façades intérieures du MAMAC : Camin dei Inglese.
Baptiste César installe un caisson lumineux « Disparaître ici » au bout de la jetée abandonnée de Lido plage qui restera éclairé durant une semaine. Stéphanie Marin conçoit ses premiers coussins-galets Livingstones.
2006 Cédric Teisseire réalise les Contre-propositions sur le paysage. Baptiste César fabrique l’installation La Jetée, réplique à ½ du Jetée Promenade, qui servira d’élément scénographique à la présentation de deux de ces vidéos.
2008 Thierry Lagalla peint Épinal. David Ancelin débute la série « Smog » constituée de plaques d’aluminium polies sur lesquelles apparaissent des motifs extraits de ses balades en bord de mer.
2009 Jean Mas promène des mots, capture l’ombre des passants et fait du stop avec le patron de la lettre P.
Le 1er juillet au soir, sous la pluie, Virginie Le Touze réalise au Castel Plage une performance constituée d’un chant a cappella improvisé à partir de l’onomatopée « Ouba Ouba ».
2013 Dans le cadre de l’événement « Nice 2013. Un été pour Matisse », Rémi Voche réalise le vendredi 28 juin à 20h30 la performance Matisse, es-tu là ? Céline Fantino réalise Futures notes (Future War). La vidéo sera présentée à la galerie de la Marine de Nice dans l’exposition des diplômés de la Villa Arson.
2014 Stéphane Steiner réalise la photographie Henri. Baptiste César présente des gravures sur galets Les Messages échoués ainsi qu’une réplique 1/3 en bois du ponton Neptune Plage dans l’exposition Fausses vacances à la galerie le 22 à Nice.
David Ancelin met au point la série « Marble Sea », impressions des vagues sur miroir gratté.
2015 Stéphanie Marin présente la collection « Les Angles », évoquant le clapotis des vagues.