« Il était une fois ... »
Il était une fois un conte allemand, « Le voile dérobé », qui inspira Marius Petipa, créateur des célèbres Ballets Russes. Sur une musique de Tchaïkovski, il en fit leur chef d’oeuvre dès sa création par le Bolchoï en Russie, en 1877. Depuis, revisité tant et plus, « Le lac des cygnes » a connu de nombreuses adaptations.
Star des chorégraphes français, Angelin Preljocaj a lancé le défi à ses danseurs de reprendre la narration en la modernisant pour aborder des problèmes actuels : l’affrontement entre le monde des affaires opposé à celui des écologistes préoccupés de protéger la nature. Tout en respectant l’oeuvre originelle - la trame du récit et les personnages sont les mêmes -, le chorégraphe ose des pas de côtés inventifs et sa danse contemporaine se marie à merveille avec la musique symphonique de Tchaïkovski.
On retrouve Odette, la femme-cygne attachée au fameux lac qui deviendra l’enjeu entre Rothbart, homme d’affaire véreux et Siegfried, préoccupé de conserver un magnifique paysage mis en danger. Face aux parents de ce dernier, le premier brandit la maquette d’une immense usine et l’autre le dessin d’un lac préservé. Ce sont deux mondes qui se heurtent : l’un préoccupé de faire de l’argent, l’autre protecteur de la nature s’effondre de voir le lac menacé par une usine de forage dont la maquette a été exhibée au Ier acte.
Tandis que les gestes des danseurs épousent la musique, le public assiste sur écran à la monstruosité des bâtiments à construire et à des bulldozers retournant déjà la terre des environs du lac. En flânant sur son bord, Odette rencontre Rothbart, doué en maléfices, et ses sbires qui cherchent à la manipuler. L’argent aurait-il tous les pouvoirs ?
Heureusement arrive Siegfried et le duo amoureux entre lui et la belle jeune fille est un moment magique et voluptueux, sur une musique des plus délicates pour révéler la réciprocité de leur amour. Ils seront pourtant bientôt séparés, le couple parental ayant immiscé, auprès de Siegfried, Odile, le sosie noir d’Odette, provoquant ainsi un grand désarroi auprès du jeune amoureux : il reconnaît sa bien-aimée – elle est nécessairement interprétée par la même danseuse qu’Odette - mais l’élan sentimental n’est pas le même. Chaque personnage a sa qualité gestuelle. Celle d’Odette est caractérisée par une forme de pureté et de sensualité qui ne se retrouve pas en Odile. Quant aux affairistes, ils ont des gestes saccadés. Mais tous sont de parfaits interprètes et les scènes d’ensemble sont des plus réussies.
Le rythme de la composition musicale est adapté pour correspondre à la musique actuelle dans une fête techno.
Il peut être sous forme de cliquetis tandis que défilent des images géométriques, ou résonner en pulsions comme du rock (plus quelques addictions de 79D) stimulant à la danse une joyeuse jeunesse lors d’une fête chez le riche magnat de l’industrie. A un autre moment très tonique, les danseuses, dans un rythme fou, poussent des cris pour imiter ceux du French Cancan.
Dans cette nouvelle aventure, Angelin Preljocaj ose le tutu (ou du moins des jupes très courtes) et des pointes pour en faire un ballet moins contemporain qu’ont pu sembler être « Blanche-neige » et « Roméo et Juliette », les ballets narratifs les plus emblématiques du chorégraphe. Il suit de façon rigoureuse le thème du « Lac des cygnes » quoiqu’en posant son propre regard et, en l’actualisant sur les préoccupations présentes, il trouve de nouvelles solutions chorégraphiques, aidé aussi par les costumes très réussis du styliste russe Igor Chapurin.
A la fin, les cygnes suffoquent par manque d’air à respirer. Ce n’est plus la sorcellerie qu’il faut craindre comme dans le conte d’origine, aujourd’hui c’est la planète qui s’asphyxie.
Et ce ballet est un appel au secours de la planète en souffrance.
Le public applaudit à tout rompre !
Caroline Boudet-Lefort