Inspiré de Samuel Beckett, écrivain de l’absurdité humaine, « May B » (peut-être !) montre un troupeau d’individus, tous recouverts de craie blanche ou de plâtre, ce qui compose un masque effaçant les traits tout en soulignant les singularités de chacun. Errants sur scène à la queue leu leu, ils forment un genre de chenille d’humains ou, enveloppés dans une peau commune, une bête à plusieurs dos, plusieurs jambes. Chacun soliloque des mots guère compréhensibles, des associations libres - chères à tout psychanalyste - ou des angoisses qui menacent les bases de l’humain.
Tous identiques, hommes et femmes, ils sont indissociables dans leur dénuement en montrant toutes les étapes de la vie
Chacun se comporte en miroir de l’autre, dans leurs marches, dans leurs gestes, à l’endroit, à l’envers, jusqu’à l’absence absolue.
Comme enveloppées dans une peau commune, à petits pas, les silhouettes avancent, à peine distinctes, leurs gestes accordés, parfois même sans le soutien de la musique commencée par un lied de Schubert qui reviendra par la suite. Mais, parfois très stridente, la musique est cependant très variée (citons les compositions de Gilles de Binche et de Gavin Bryars, en fin de spectacle).
Dix danseurs et danseuses passent de l’immobilité totale à des mouvements convulsifs qui décrivent une palette d’émotions et de sensations jusqu’à une scène de sexualité masturbatoire pour ne pas omettre de représenter une partie de la vie de chacun.
Passé, présent et avenir se mélangent.
L’idée même de sens perd tout sens, mais chaque étape de la vie est présente dans des sortes de sketches qui se succèdent : même le cérémonial du gâteau d’anniversaire avec les bougies à souffler, avant d’arriver au fauteuil roulant et à la canne. Toutes les étapes et tous les âges de la vie sont symbolisés dans leur absurdité par des danseurs avilis, sales. Des êtres en proie à toutes sortes de pulsions.
Dans le public, parfois un rire jaune - sinon noir !- sur cette misère humaine. La nôtre ! Chez Beckett, le monde est traité en clair-obscur et sa couleur serait le gris. Le gris de la solitude, du dénuement, de l’absence absolue. En se rattachant au mouvement de la danse-théâtre, Maguy Marin n’a pas trahi l’auteur. Mais, le monde est fait d’excès contraires, depuis elle a créé un spectacle sur l’aliénation du désir de chacun à la société de consommation dans « Ligne de crête ».
Avec « May B » toute l’absurdité est dite, quoique ce ne soit pas encombré de mots. N’oublions pas, c’est de la danse ! Seulement quelques mots, gueulés, chantés, alors que la vie s’achève... « C’est fini. Ca va finir ! Ca va peut-être finir... »
Samuel Beckett a mis au jour les angoisses qui menacent les bases mêmes de la personnalité humaine. Le lecteur reçoit ses textes comme un coup porté au creux de lui-même et il en est de même de ce spectacle.
Abasourdi à chaque représentation, le public ovationne longuement les dix interprètes qui, depuis 1981, se sont succédé dans un mouvement perpétuel de transmission.
Caroline Boudet-Lefort