PLAY Chorégraphie de Shantala Shivalingappa et Sidi Larbi Cherkaoui
« Play » est un duo, fruit d’une collaboration entre ces deux grands noms de la danse qui ont capté les mouvements de joueurs. Ils se sont approprié une multitude de jeux reproduits, transformés, interprétés pour en faire les éléments de leur propre création artistique.
Chaque jeu trouve une voie spectaculaire inédite, qu’il soit jeu d’enfant ou jeu de mains, jeu d’échecs ou jeu de cartes, jeu de rôles ou jeu de masques. Loin d’une simple énumération, une kyrielle de jeux connus est mis en danse : jeux de hasard ou de compétition, identifiables sans qu’il soit question de les « représenter ». Tout en distillant un savant mélange de légèreté, de poésie et d’humour, les deux artistes parodient ces jeux réglés, agencés comme des fantasmes ou des rituels.
Montrer des joueurs à travers la danse mobilise technique et qualités physiques des interprètes qui tissent un espace imaginaire, un entre-deux situé entre l’espace sonore et la présence des corps sur scène, une recherche des paradoxes où s’inscrit le jeu.
Des projections vidéo accentuent les gestes et multiplient l’ampleur de chaque mouvement pour des jeux rêvés, inventés entre le mystère et les souvenirs d’enfance. Jouer est une manière de modifier la réalité, d’endosser un rôle, de mettre un masque. Le masque, tout comme la marionnette, est une transformation symbolisée de l’identité dont les deux remarquables danseurs se jouent avec bonheur. Des variations sur le double et sur les racines de chacun sont signifiées par deux marionnettes de taille humaine, l’une blanche l’autre noire. Condamnées à jouer double jeu, elles se font symboles de métamorphose ou de séparation entre le moi et le non-moi, entre l’être et le non-être, entre le monde intérieur et le monde extérieur des danseurs. Le double fait danser et chanter leurs mondes invisibles dans ce grand jeu de rôles à identités décalées.
Sous le signe de la dualité, « Play » magnifie la rencontre d’un homme et d’une femme, avec le jeu comme prétexte de leur histoire d’amour et de rivalité, de séduction et de séparation, histoire réelle ou fictive.
Ils se croisent, se frôlent, se chicanent, se mesurent, tels des joueurs en compétition, mais lorsque leurs mains se rejoignent, dans un instant de grande sensualité, toute opposition est abolie.
L’énergie féminine s’oppose à l’énergie masculine dans une quête de victoire l’un sur l’autre. Cependant, à travers la confrontation de leurs mouvements, les deux danseurs sont à part égale sur scène, l’une dans un style indien, l’autre dans la force musculaire de son corps. Ils montrent que chaque jeu est une histoire unique avec ses propres repères qui nourrissent la dualité copie/original et l’appropriation vrai/faux. Contraire à la réalité, le jeu est toujours du semblant, « on dirait que... » annoncent les enfants malgré la règle du jeu qu’il est possible de transgresser selon la rigueur des joueurs. Dans cette reproduction détournée, qui rappelle que le jeu a été pratiqué une infinité de fois, l’espace est à réinventer, les jeux à métamorphoser et l’émotion se trouve démultipliée.
Sidi Larbi Cherkaoui et Shantala Shivalingappa portent sur les jeux un regard empreint d’ironie et de mélancolie, tout en leur accordant une dimension spirituelle.
Ils sont accompagnés sur scène par une poignée de musiciens Indiens et par la voix puissante de Patrizia Bovi, versée dans un répertoire médiéval. Renforcée par des tambourins, l’ambiance sonore s’étale comme un écho à la cadence du jeu dansé, avec des instants de tendresse apaisante. Tous les possibles les ont inspirés, que ce soient l’espace ou le temps, le chemin ou le but à atteindre, telle une révélation d’expériences imagées par des mouvements éphémères.