Parmi cette riche programmation qui a pour but de définir les goûts du public à travers ses choix, la venue du Ballet National de Marseille est un événement très attendu le 31 mars !
L’exceptionnelle chorégraphie d’Emio Greco et Pieter C. Scholten, tous deux à la direction du Ballet National de Marseille depuis 2014, est loin de la danse classique. Intitulée Extremalism, croisement entre « extrême » et « minimalisme » pour trouver l’essence même du geste dans sa simplicité, elle explore cependant le corps dans sa totalité.
Derrière un rideau de voile, on devine des corps qui circulent en silence, jusqu’à ce qu’un tonitruant coup de tonnerre indique que le rideau se lève sur des corps presque nus, coiffés de façon archaïque évoquant des sculptures étrusques. Uniquement avec leurs mains, les danseurs font des gestes minimes sur une musique ténue comme le bruit d’un feuillage agité par un léger vent. Puis arrive un coup de gong pour signaler l’urgence du geste le disputant à la limpidité de l’espace où des corps ondulent sans musique. Seul s’entend l’intense silence du public.
Au-dessus des danseurs, pour unique décor, un cercle lumineux fait d’anneaux dont la symbolique interroge. Sur un fond sonore lancinant, il descend peu à peu jusqu’à se mettre à la verticale. Tous les danseurs, hommes et femmes, sont vêtus de longues robes d’un vert indéfinissable et entourent un immense danseur en noir, sorte d’interprète-totem pour un rituel chamanique. Il exécute des flexions lentes s’achevant en pauses sculpturales. Image hypnotique dont s’inspirent plus tard les danseurs... La musique énigmatique accentue l’atmosphère mystérieuse et insolite, tandis que les corps désarticulés tombent dans des gestes décalés. Et soudain, les voilà tous vêtus de robes couleur chair, tapant dans leurs mains, tandis que le son de la musique augmente sournoisement, avant de s’arrêter de façon inattendue.
C’est l’aspect intime, identitaire et philosophique de l’homme qu’imaginent les deux chorégraphes.
Ils entendent plonger dans les couches profondes de l’être et de l’obstination de la vie, à laquelle ils s’intéressent sans tomber dans une illustration. Portés par une danse solide, ils malaxent des émotions extrêmes avec des mouvements inspirés de réactions en chaîne. Un danseur commence, un autre le suit, et cela continue jusqu’au dernier dans un rythme impeccablement chronométré, comme la chute d’un jeu de quilles s’écroulant une à une. La musique est anxiogène, pleine de suspense, s’arrêtant brutalement parfois sur un bruyant coup de gong. Peut-être est-ce le big-bang qui précède la genèse.
Confrontés à une douzaine d’interprètes qui restent sans cesse sur le plateau, les deux chorégraphes entendent faire surgir des créatures jamais vues dans des explosions de formes inédites.
Ainsi, plongé dans un bain d’images, le public tente-t-il de dénouer les fils complexes que cette danse singulière rassemble. Elle est sans doute le projet le plus abouti, jusqu’à aujourd’hui, d’Emio Greco et Pieter C. Scholten. L’ovation finale le signifie !
Caroline Boudet-Lefort