C’est donc un faux-semblant qui cimente leur couple condamné à s’écrouler, même si Antonina veut le maintenir debout. Etant la seule femme de sa vie, elle pense qu’il l’aime à sa manière !
Et pourtant, il la rejette sans cesse. D’ailleurs, le film commence par les obsèques du compositeur, où, se dressant sur sa couche mortuaire, il lui « déclare » violemment sa haine.
Cependant, durant toute sa vie, elle lui porte un amour inconditionnel qui va tourner à l’obsession dès lors qu’elle est rejetée avec véhémence. Elle accepte de tout endurer pour rester auprès de l’homme qu’elle aime et sa vie conjugale devient une humiliation quotidienne, tandis qu’elle le poursuit de ses assiduités.
C’est éprouvant d’aimer quelqu’un qui ne vous aime pas et vous rejette froidement.
Insistante à l’excès, elle finit par dégoûter définitivement des femmes le compositeur, alors qu’il est déjà très adulé dans son entourage. Le mariage est voué à l’échec et le couple doit se séparer. Se montrant froid et distant, Tchaïkovski charge ses frères de régler le divorce, tandis que son épouse lui voue toujours son amour envahissant.
Qu’en est-il de la réalité ? Serebrennikov nous offre sa proposition d’affreuse situation d’aimer quelqu’un sans le moindre sentiment réciproque !
Dans une étonnante mise en scène nimbée d’éclairages subtils, la relation du couple est centrée sur Antonina Milioukova qu’interprète de façon sensationnelle Alyona Mikhailova.
Très populaire en Russie où elle est l’héroïne de séries, elle se révèle une immense actrice en donnant corps et âme à cette épouse bafouée, délaissée tout au long de sa vie conjugale. Tchaïkovski est incarné par l’acteur américain Odin Biron : immigré en Russie, il a quitté ce pays en mars dernier, à la suite de l’invasion de l’Ukraine.
Kirill Serebrennikov était présent lors de la projection officielle de son film en compétition au dernier Festival de Cannes. Durant plusieurs années, assigné à résidence à Moscou pour cause de ses positions en faveur de la démocratie, il n’avait pu venir en 2018 pour la présentation de « Leto », ni en 2021 pour celle de « La fièvre de Petrov », deux films très remarqués qu’il avait créé depuis son ordinateur.
Aujourd’hui, résident à Berlin, il est devenu un symbole de la résistance à Poutine.
Aussitôt après la projection cannoise de « La femme de Tchaïkovski », Kirill Serebrennikov, travailleur acharné, est parti à Avignon pour la mise en scène théâtrale du « Moine noir » qui faisait l’ouverture du Festival de Théâtre dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. Et, il a par ailleurs, en préparation, un nouveau film : l’adaptation du livre d’Emmanuel Carrère « Limonov ». Pas de doute : Kirill Serebrennikov est un génial boulimique de travail !
Caroline Boudet-Lefort