Peut-on dire qu’il s’agit du thème du couple, et plus précisément de la formation d’un couple, avec les mystères du choix ? Après des incertitudes, des tâtonnements, des rejets, et parfois des embrouilles jusqu’à ce que, pour finir, chacun choisit sa chacune. La conquête de la « mégère » arrive de façon directe et stupéfiante.
Un homme a deux filles et refuse que la seconde, très sollicitée, se marie avant l’aînée. Mais l’aînée, Katharina, est une « mégère » qui rejette tout prétendant et chacun en prend pour son grade.
Avec une pointe d’irrévérence et beaucoup d’ironie, Jean-Christophe Maillot s’en donne à coeur joie pour le portrait de cette teigne insolente.
Avec ses gestes dans une danse très ironique, on voit que cette harpie furibarde veut toujours avoir le dernier mot et qu’elle insulte tout le monde. Certains moments relèvent davantage du mime que de la danse, quand cette virago furieuse envoie balader tous les hommes qui s’approchent d’elle. Jusqu’à la venue de Petruchio, un malotru irrespectueux de toute convention sociale, qui surgit dans l’univers de Katherina comme un conquérant ne pouvant qu’être vainqueur.
Si Katherina choisit Petruchio, c’est bien malgré elle. Acariâtre au possible, elle lui tient tête, ce qui a pour effet de l’inciter encore plus à la séduire. Il y va franco, sans cérémonie, ni convenance, et elle ne pourra pas lui résister. Bien malgré elle, elle sera séduite par cette personnalité de la force de la sienne et qui fait fi des codes d’une société policée. Cette fois elle est prise au piège de l’amour.
Les danseurs solistes des Ballets de Monte-Carlo, Alessandra Tognoloni et Francesco Mariottini dansent avec un talent impeccable les deux rôles principaux, en exaltant les conflits amoureux avec une expressive puissance corporelle.
Le rôle complexe de la mégère passe d’un registre à l’autre, du rejet à l’attirance, et la gifle qu’elle assène à l’homme, que pourtant elle aime déjà, semble claquer quoique silencieuse. La réponse masculine est un tendre baiser provoquant la stupéfaction. Tout s’électrise autour d’eux, la musique reste en suspens, le temps semble s’arrêter, l’émotion est à son comble, jusqu’à ce que ses anciens prétendants viennent la narguer. Chaque geste apporte une signification enrichissant le thème déployé.
Jean-Christophe Maillot signe un magnifique ballet narratif à la gestuelle virtuose.
Autour du couple central, de nombreux personnages de la pièce de Shakespeare étoffent le ballet avec une écriture chorégraphique spécifique à chacun selon son rôle. L’expressivité de chaque mouvement des interprètes permet de raconter de façon très évidente le déroulement de la pièce shakespearienne. Ainsi, Bianca (Katrin Schrader), la soeur de Katherina, est absolument merveilleuse, soulevant ses bras en des gestes délicieux et ses pas de deux, avec ses prétendants successifs, sont admirables.
Comme toujours pour Jean-Christophe Maillot, les décors – très sobres et légèrement mobiles - sont signés Ernest Pignon-Ernest et les costumes insolites sont d’Augustin Maillot. « La Mégère apprivoisée » a reçu 3 Masques d’Or (meilleur spectacle chorégraphique, meilleur rôle féminin, meilleur rôle masculin) et c’est bien mérité pour cette inoubliable soirée !
Caroline Boudet-Lefort