En écoutant les mots du rappeur, on découvre un texte subtil et sensible. Et drôle aussi.
Un récit aux allures de parcours initiatique. Sans chercher l’effet facile, il fait rire et émeut une heure durant. Mais davantage que l’humour c’est la poésie qui est le terroir de Abd Al Malik. Dans un récit foisonnant et étonnant, il explore un univers aux frontières de l’érudition et de sa propre poésie. Il cite avec passion divers auteurs de Baudelaire à Edouard Glissant, en passant par Albert Camus, son préféré.
Dans ce spectacle tenu et digne d’un long poème, Abd Al Malik fait preuve d’un réel talent d’écriture, dessinant un tendre portrait de la France périurbaine, à l’ère de la mondialisation.
Ceci comme allégorie du cheminement du jeune noir du tableau de Puvis de Chavannes et de ces nouvelles générations - dont il fait partie - nées en Europe, mais aux racines ancrées dans le continent africain ancestral. Chaque mot l’affirme. C’est tout l’art du rappeur de décrypter – sans avoir l’air d’y toucher, mais si lucidement - l’existence dans ces banlieues. Avec un sens du partage, il éveille le public. Partant de l’idée que l’art est le reflet de l’humanité, il construit des passerelles entre pensée, musique, danse et esthétisme, et prouve que la littérature dite classique peut s’introduire dans la culture hip-hop. Il maintient ainsi notre patrimoine en transmettant de « grands textes ».
L’imaginaire commun peut se créer par l’art. La musique et la danse en sont des bons vecteurs.
Abd Al Malik les réunit et y ajoute les mots, ceux d’auteurs choisis et les siens qui répondent idéalement à la danse en composant une méditation poétique, rythmée et slamée. Sincère et émouvant, le spectacle clame les paradoxes, en prônant à coups d’injonctions ardentes le respect de l’autre et de la vie. Le rappeur semble parler de l’humanité pour que chacun puisse retrouver sa sérénité intérieure. Tandis que le récit avance, il fantasme, progresse en visions terribles, sans jamais dépasser une limite bienveillante. Il s’agit surtout d’être hanté par la littérature que Abd Al Malik nous transmet de façon accessible et ludique.
Cette tragédie musicale, où le choeur est joué par de balaises danseurs noirs, présente des miroirs de toutes nos indifférences. Ces danseurs (Salomon Asaro, Akim Houssam, Vincent Lafif, Bolewa Sabourin) épatent et bouleversent avec leur présence corporelle qui dégage une immense énergie se transmettant à toute la salle. Sur la musique d’Arnaud Layette-Mikano, ils s’élancent ensemble avec une force vitale débordante et extrêmement contagieuse. Dans une forme très virile, mais non dépourvue d’affects et de sensibilité, la danse devient lumineuse alors que les mots s’ajoutent en y répondant adéquatement.
Dansé et clamé, ce théâtre est une belle leçon de grandeur, d’exigence et de pur plaisir.
Qui donc a dit : « La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde » ?
Caroline Boudet-Lefort