La période postsuprématiste deMalévitch, entre 1928 et 1934, reste encore énigmatique. Il fut une époque où ce retour du peintre du Quadrangle noir et de la série des Blancs sur Blanc à une certaine figuration symbolique était considéré comme « réactionnaire », et même une sorte de reniement par l’artiste lui-même de la révolution qu’il avait opérée à partir de 1915. Il est clair, en tout cas, que cet ensemble impressionnant créé en un peu plus de cinq ans avant sa mort, est unique dans le concert des arts européens qui s’étaient laissé aller à un « retour à l’ordre » après les secousses sismiques des avant-gardes dans les années 1910. Il s’agit, chez Malévitch, à la fois d’une synthèse, d’une relecture par l’artiste polono-ukraino-russe de sa propre création et, surtout, d’une poignante manifestation, par les moyens « silencieux » du pictural, de la situation tragique de l’homme russe et surtout ukrainien, victime de la répression stalinienne contre les paysans riches (les koulaks) et surtout du génocide par la faim, que l’Ukraine nomme le « Holodomor » et qui fit dans ce pays plusieurs millions de morts en 1932-1933.
La figure, le nu, le portrait, l’autoportrait : ces thèmes majeurs qui traversent l’histoire de la représentation sont interrogés de nouveau aux XXe et XXIe siècle, mais après avoir été bouleversés, étrillés, par la montée de l’abstraction.Quelle essence précieuse est restée de cette mise à nu de la figure ? L’exposition consacrée à Nicolas de Staël au printemps 2014, Staël, la figure à nu, 1951-1955, esquissera une
réponse, et le cycle Les lundis de Picasso, articulé sur ce thème, permettra de saisir comment l’un des fondateurs de l’art abstrait, Malévitch, est retourné vers la figure, comment les artistes ont représenté l’être en trois dimensions, comment l’autoportrait va chercher au plus profond l’émergence de l’expression. Historiens de l’art, philosophes, artistes, nous accompagneront dans ce questionnement qui nous est si proche.
Jean-Claude Marcadé est directeur de recherche émérite au Centre national de la Recherche scientifique, président de l’association LesAmis d’Antoine Pevsner, conseiller scientifique et commissaire de plusieurs expositions, parmi lesquelles La Russie à l’Avant-garde,1900-1935, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 2005-2006, la rétrospective Malévitch, Barcelone, La Pedrera etMusée des Beaux-Arts de Bilbao, 2006, la rétrospective Rodtchenko, Barcelone, La Pedrera, 2008-2009. Il a publié entre autres Malévitch (Paris, Casterman, 1990), L’Avant-garde russe. 1907-1927 (Paris, Flammarion, 1995, 2007), Nicolas de Staël (Paris, Hazan, 2008), Malévitch, (Kiev, Rodovid, 2013)