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"Vers la lumière" de Naomi Kawase

Chargée, par son métier d’audiodescriptrice, d’exprimer les objets, les sentiments et le monde qui l’entoure, une jolie jeune fille rencontre, lors d’une projection de film, un photographe célèbre qui perd irrémédiablement la vue. Des sentiments troublants naissent entre eux : d’abord hostiles, ils se transforment peu à peu en amour véritable.

Sans notion d’intrigue et de progression dramatique, les films de Naomi Kawase restent fidèles à une tradition artistique japonaise. Avec une représentation intimiste et poétique du monde contemporain, son cinéma tente de saisir l’essence sacrée de l’univers familier des gestes quotidiens et des rituels sociaux.

Oscillant entre visible et invisible, un élan de spiritualité parcourt ses films.

Naomi Kawase avait une belle idée pour son nouveau long-métrage « Vers la lumière », mais a-t-elle pu – ou su – l’exprimer ? Pour raconter les films au photographe presque aveugle, la jeune fille doit vite jeter une phrase entre deux dialogues pour résumer ce que l’on voit sur l’écran. Comment traduire en un énoncé lapidaire toutes les intentions, les sentiments, les émotions que le réalisateur transmet à sa façon dans ses films ? Est-il possible de dire ce que l’imaginaire de chacun plaque sur les images projetées ? Comment ne pas trahir avec les mots ce que le réalisateur raconte à travers ses images sans dénaturer l’oeuvre ? A-t-on besoin de la vue pour voir ? Peut-on comprendre les choses sans les voir ? Accepter leur disparition les rend d’autant plus magnifiques et source d’émotions. Car, si la lumière est si belle, c’est grâce à l’obscurité. Tout l’art du cinéma serait là.
Les questions essentielles concernant la vue, Naomi Kawase les pose d’emblée, mais s’égare peu à peu, s’englue. Dans cette romance trop conventionnelle, on ne retrouve pas son talent tout en subtilité. Malgré sa délicatesse, sa sensibilité et sa poésie, « Vers la lumière » n’est pas une totale réussite. Aucune émotion ne transparaît, alors que le sujet s’y prêtait et trop de douceur peut devenir mièvrerie. La mise en scène ferme cette histoire qui reste intimiste et étriquée, elle aurait gagné à s’élargir. Ce travail sur les images et les mots n’aboutit à rien, alors qu’un champ de tous les possibles s’ouvrait.

Une histoire d’amour semble impossible à ces deux héros fragiles que la réalisatrice filme avec une empathie délicate qui éclairait déjà ses oeuvres précédentes (La forêt de Mogari, Still Water, Les Délices de Tokio....).
Comme dans les comédies américaines d’antan, au début ils se rejettent et s’affrontent. Les critiques sévères du photographe semblent hostiles à la jeune fille vexée. Malgré sa vue de plus en plus floue, il ne quitte jamais son appareil photos. Elle pinaille sur le sens du mot « aimer » qui au Japon s’exprime avec plusieurs mots selon la nature de l’amour. Une forte hostilité s’installe entre eux avant que leurs sentiments réciproques ne les rapprochent.

Le sujet fort et original aurait pu tirer la réalisatrice vers le haut pour parler de la relation aux images et de l’univers sensible qui entoure les héros.

Filmés en gros plans, ceux-ci ne sont cependant guère incarnés. Le regard de la cinéaste est comme aspiré par l’image qui palpite et semble se dilater, exalté par les deux solitaires qui se tendent un étrange miroir de mots pour reconnaître leur douleur et leur compassion. Tout se joue au plus près des visages de cette femme de mots et de cet homme d’images et leurs expressions racontent toute la douleur de leur passé fait de blessures. Les deux principaux comédiens sont parfaits : Masatoshi Nagase, déjà acteur du précédent film de la cinéaste, est face à Ayame Misaki, une nouvelle venue de la télévision japonaise. La trompette voilée d’Ibrahim Maalouf amplifie de manière envoûtante l’expression des forces invisibles présentent dans le monde quotidien.

Copyright 2017 Concorde Filmverleih GmbH

Le langage serait-il plus important, plus profond que la vue ?
Nous ne succomberons pas à cette hiérarchie improbable. La réalisatrice semble elle-même avoir eu bien du mal à s’en débrouiller dans son film moins réussi que ses précédents. Moins sensible. Ou est-ce la projection au dernier festival de Cannes, dans une sélection de films violents, fracassant les oreilles, qui aurait rendu soporifique la sensibilité de Naomi Kawase ? Elle a obtenu le Prix oecuménique.
Caroline Boudet-Lefort

Date de sortie 10 janvier 2018 (1h 41min)
De Naomi Kawase, Avec Masatoshi Nagase, Ayame Misaki, Tatsuya Fuji plus
Genres Drame, Romance
Photo de Une : Copyright 2017 Concorde Filmverleih GmbH

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