Bien sûr, on ignore tout de la région – « on » c’est « je », et vous peut-être - du Nord Caucase où se déroule l’action du film. C’est là que vivent plusieurs communautés juives et musulmanes issues du peuple des Kabardes, ethnie tchétchène réchappée des exterminations russes.
Une jeune juive aime clandestinement un musulman. Les rivalités claniques et les haines séculaires en font un drame plus cruel que celui de « Roméo et Juliette ». La jeune fille devra-t-elle se sacrifier dans un mariage imposé - et non désiré par elle - pour sauver son frère et sa fiancée, tous deux kidnappés ? Une lourde menace, chargée de violence, pèse sans cesse, oppressante, étouffante dans cette « vie à l’étroit ».
« Tesnota » se traduit du Russe par « exiguïté ». « Une vie à l’étroit » parce que tout se déroule dans des espaces clos, réduits, des pièces encombrées, mais aussi parce que cette communauté, guère connue du reste de la planète, est très fermée sur elle-même et que ses normes sont étriquées.
Une certaine claustrophobie nous étreint.
On étouffe, dès la première scène, intrigante, entre un frère et une soeur qui montre leurs rapports – de complicité ? d’intimité ? de séduction ? - encore mal définis pour le spectateur à qui ils semblent incestueux.
Dès lors, on découvre Darya Zhovner, une actrice moscovite, géniale dans son jeu pour son premier rôle au cinéma. Jeune sauvage, individualiste, elle se bat tout autant contre elle-même que contre les entraves de sa famille et de sa communauté face à son désir de liberté. Garçon manqué avec une énergie à l’état brut, elle refuse les codes de la féminité, dans ses vêtements informes, dans son goût pour les moteurs, dans son mode de vie et dans son amour clandestin pour ce jeune Kabarde. Comment échapper aux traditions familiales et aux rapports communautaires ?
Le film se réfère à un phénomène surgi à la fin des années 90 avec la prolifération de kidnappings crapuleux prenant pour cible les membres de la communauté juive de la région. Le réalisateur Kabarde se base sur une histoire vraie qui a eu lieu dans sa ville natale alors qu’il n’avait que sept ans, et dont le récit perdure et a toujours retenu son attention : l’enlèvement de deux jeunes fiancés juifs avec demande de rançon aux familles. L’antisémitisme sous-jacent (avec supposition que le juif possède assez d’argent pour payer) est à peine signifié, mais rôde tout au long du film.
Découvert à Cannes, ce film a obtenu le Prix de la Critique Internationale dans la section Un Certain Regard, avec la précision « une voix nouvelle et frappante qui offre un portrait intime d’une communauté renfermée ». Depuis, il a glané d’autres prix.
Curieusement, ce film s’inscrit en nous, nous hante. Il ne s’oublie pas !
Caroline Boudet-Lefort