Rappelons que depuis son premier long-métrage « Element of crime », en 1984, tous ses films ont été sélectionnés en compétition, et souvent récompensés : Palme d’or en 2000 pour « Dancer in the Dark », Prix du Jury en 1996 pour « Breaking the waves », et même Prix en 1991 pour « Europa ». Comme il s’est toujours beaucoup intéressé aux femmes, des prix d’interprétations féminines ont été remis à Björk, Charlotte Gainsbourg, Kirsten Dunst .... Banni donc, depuis sept ans, du Festival, son nouveau film était très attendu, tout en étant précédé de rumeurs sur une violence éprouvante.
Au début, l’écran reste noir tandis que dialoguent deux voix d’hommes, l’un racontant son histoire à l’autre que l’on ne verra qu’en fin de film, c’est Bruno Ganz dont on reconnaît la voix. Jack (Matt Dillon), un tueur en série, lui « confesse » une soixantaine de crimes « exécutés comme des oeuvres d’art » mais le spectateur n’en verra que cinq, heureusement ! Toujours des meurtres de femmes, en général agaçantes (un peu de misogynie en passant), et c’est Uma Thurman qui ouvre la série en étant zigouillée à coups de cric ! Ensuite, on le voit étrangler une autre, avant de traîner longtemps son corps ensanglanté à l’arrière de son véhicule, puis il élimine une famille, mère et enfants, etc. Cela va crescendo dans l’horreur et le gore. Des images de l’holocauste et autres atrocités truffent le film.
Est-ce pour montrer qu’il y a des crimes pires que ceux de ce serial killer ?
Au sommet d’un art nihiliste, le but de Jack est de faire de ses victimes des installations artistiques.
La provocation, sexuelle et politique, de Lars von Trier est à son comble, au point de pousser à rire de ce malade mental - bien sûr, nous parlons de son personnage, cependant on connaît les phobies de ce génial réalisateur incapable de monter dans un train ou un avion, aussi vient-il toujours à Cannes en camping-car.
Parlant d’une voix invisible, Bruno Ganz interprète le contradicteur qui n’hésite pas à se référer à Virgile ou à Dante et qui obtient un minimum de conscience de la part de ce serial killer d’un romantisme noir et d’une violence froide et clinique. Représente-t-il sa conscience qui l’aide dans ses moments de doute ?
La juxtaposition de séquences de Glenn Gould au piano vient-elle signifier que la fragilité psychique de l’artiste peut ajouter un plus à l’art ? Cela autorise-t-il Lars von Trier d’insérer quelques extraits de ses propres films par ci, par là, se rendant hommage à lui-même et admettant ainsi sa propre fragilité psychique ? Le mal et l’impureté seraient-ils, pour lui, appropriés à l’art ?
Avec un narcissisme roublard, Lars von Trier ne laisse pas indifférent, même si sa provocation suscite la gêne et en agace parfois plus d’un.
Dans ce film torturé – et torturant – sur la souffrance physique et psychique, on voit l’attraction qu’il a pour les cerveaux malades (serait-ce là que s’originent ses propos sur Hitler ?) Y aurait-il une confusion dans sa tête ou bien une inconscience téméraire ? On le sait provocateur et il le prouve encore dans les commentaires philosophiques échangés entre les deux protagonistes dans une vision de l’enfer kitsch à souhait !
Matt Dillon campe parfaitement ce tueur en série qui disserte avec la voix-off sur la beauté du mal et cherche à accomplir le meurtre idéal d’où cette répétition. Découvert en 1983 dans « Outsiders » de Francis Ford Coppola, l’acteur américain s’améliore de film en film et trouve ici son meilleur rôle. Est-ce celui de Lars von Trier lui-même qui se verrait en artiste assassin ? Quelle est la parodie ?
On reste dans l’ambivalence face à ce chef d’oeuvre. Un chef d’oeuvre, certes, mais indigeste !
Caroline Boudet-Lefort