L’impatience était à son comble ! Attendu depuis des années, après avoir présenté « Three Times » en 2005, Hou Hsiao-Hsien était à nouveau en compétition au dernier Festival de Cannes avec « The Assassin », son premier film d’arts mar- tiaux dont l’action se déroule sous la dynastie Tang, soit entre le VIIe et le VIIIe siècle de notre ère. La nouvelle oeuvre du réalisateur taïwanais, grand cinéaste de la modernité, est donc un « film de sabre » où il s’essaie au genre classique en racontant une histoire shakespearienne située dans l’âge d’or de la civilisation chinoise.
Après un prologue en noir et blanc afin d’évoquer le passé du personnage principal, la couleur jaillit de rouge et d’or pour parvenir au temps présent du récit. L’histoire est un mélo : la belle Nie Yinniang (son nom est le titre original du film) est une « femme assassin » virtuose, partagée entre son devoir (obéir aux ordres sans états d’âme) et son impossibilité à taire ses sen- timents amoureux pour l’homme qu’elle doit assassiner. Elle ne peut tuer tout désir de bonheur et se débat avec une ardeur touchante afin de continuer à intriguer. Les vengeances sont rarement simples. Celle-ci est surtout artistique jusque dans les ruses, les coups tordus, les masques, les non-dits, les discordes - intimes ou politiques.
Amours contrariées, rivalités, trahisons, jalousies, stratagèmes, vengeances, meurtres : toute la panoplie du mélo classique est présente. Avec, par-ci par-là, des combats stylisés, utilisés comme des ponctuations. En effet, pas de profusion de combats ni de cavalcades, le principal de l’action se passe dans les chambres et les salles du palais, fastueusement décorées tout en rouge, noir et or. Les couleurs ne cesseront de flamboyer aussi dans les labyrinthes de corridors où des voilages s’agitent mystérieusement au passage d’ombres félines qui se faufilent. Hou Hsiao-Hsien a une approche très picturale des lieux particulièrement lorsqu’il montre l’intérieur d’immenses demeures aux pièces divisées par des paravents et des voiles. Il filme à disance avec de longs plans fixes ou de lents travellings qui englobent ce qui entoure les personnages, objets ou paysages. De splendides paysages de montagnes et de forêts brumeuses participent au lyrisme du film, auquel s’ajoute un superbe travail sur la lumière pour filmer la soie, les laques, les ors, les jades, dans de voluptueux jeux de miroirs éclairés à la bougie.
Le réalisateur s’est largement documenté pour savoir comment les gens s’alimentaient, s’habillaient à cette époque, et connaître le contexte politique de cette période chaotique où, menacée par des gouverneurs de province, la puissance de l’empire Tang était chancelante.
On se perd parfois dans les méandres d’une narration complexe, d’autant plus difficile à comprendre qu’il semble y avoir des trous dans le déroulement de ce drame. Peut-être est-ce à cause de ces années de retard dû à un tournage suspendu à de nombreuses reprises. Le chef de file du cinéma de l’avant-garde taïwanaise a mis plusieurs années pour réunir le budget de ce film coûteux, produit par la Chine.
La tueuse incapable d’assassiner sa cible est interprétée par Shu Qi, une actrice que Hou Hsiao-Hsien a contribué à lancer sur la scène internationale (Millennium Ma- mbo, Three Times), et son partenaire, l’homme aimé depuis l’enfance et auquel elle était promise, est Chang Chen, comédien cher à Wong Kar Wai. Marionnettes manipulées par un destin tragique, leurs personnages sont chorégra- phiés avec précision sans esbroufe. Le fracas de poignards virevoltants alterne avec le silence de la nature ou du palais théâtre des rivalités, tandis qu’une envoûtante musique de Lim Giong lie le tout.
« The Assassin » a obtenu le Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, mais nombreux étaient les critiques, parmi les plus cinéphiles, qui auraient accordé sans hésiter la Palme à ce film sublime. Du grand cinéma d’une beauté absolue !