Katell Quillévéré a eu l’idée de Suzanne en lisant des autobiographies de femmes qui avaient sombré dans la délinquance par amour pour des hommes. Mais son projet a vite dépassé ce sujet, le film devenant une histoire de famille autant qu’une histoire d’amour.
Pour son deuxième long-métrage, après un Poison violent (Prix Jean Vigo 2010), la jeune réalisatrice déploie sur 25 ans un récit aux accents romanesques, sans aucun souffle épique et avec d’audacieuses ellipses. Elle ne s’intéresse pas à la causalité des faits, mais à la puissance du hasard dans la vie et se soucie surtout de la chronique réaliste d’une famille modeste où le père est chauffeur de poids lourds. Les scènes essentielles se passent à deux et restent intimes : Suzanne et sa soeur, Suzanne et son amoureux, Suzanne et son père... La mise en scène reste sage, tournée vers le scénario, pour montrer l’amour entre des personnages qui s’aiment et voudraient se donner beaucoup.
Suzanne a vécu une enfance épanouie aux côtés de sa soeur, avec laquelle elle garde un lien très serré. Depuis la disparition de leur mère lorsqu’elles étaient petites, le père mène, seul, la barque, papa poule se sacrifiant pour le bonheur de ses filles. Ensemble, ils forment un trio fusionnel et heureux, jusqu’à ce que Suzanne, enceinte, décide de garder l’enfant qu’elle laissera à sa famille le jour où, amoureuse, elle bascule dans la délinquance en s’enfuyant avec un bad boy marseillais. Suzanne a toujours fait ce qui lui plaît quitte à en payer le prix fort. Le film fait l’impasse sur la cavale pour accorder toute son importance à ceux qui subissent les dommages de ses actes : son père (François Damiens, comme toujours parfait), sa soeur (lumineuse Adèle Haenel), bien obligée, elle, de rester dans sa vie médiocre, et l’enfant. Dès les premiers essais, Sara Forestier a su s’imposer dans le rôle de Suzanne où, capable d’endosser des situations de jeu violentes, elle est d’une intensité rare tout en restant pétillante. Fragile et butée, elle exprime la révolte sauvage et complexe d’une amoureuse qui s’enchaîne à un marginal au point de quitter travail et enfant, de faire le choix de s’arracher à un destin écrit d’avance. La Suzanne de Katell Quillévéré trouvera-t-elle sa propre liberté comme celle de Pialat dans A nos amours, il y a quelque 30 ans ? Sara Forestier et Adèle Haenel sont bouleversantes, marquant avec naturel le temps qui passe. L’émotion ne nous lâche pas dans ce film qu’on regarde la gorge serrée du début à la fin.