Dans un flot ininterrompu de paroles et un festival de gestes réprimés, « Un beau soleil intérieur » conte les déboires amoureux d’une belle romantique, une femme paumée, qui sent le temps de la jeunesse lui échapper et éprouve une lassitude d’aventures sans lendemain.
Elle est en quête du véritable amour, un amour absolu, authentique, qui comblerait son existence de femme divorcée avec un enfant. Artiste peintre en rien solitaire, elle a une vie sociable et fait des rencontres, parfois amoureuses bien souvent éphémères, ainsi se sent-elle consommée – ou bien est-ce elle qui consomme ? – Sa sentimentalité semble d’un autre âge à ses partenaires, comme si l’amour n’avait plus le droit de s’énoncer.
Cette femme, belle et intelligente, superbement incarnée par Juliette Binoche (rayonnante !), vit dans l’enchaînement d’expériences très décevantes et même lamentables, jusqu’à la consultation d’un voyant (Gérard Depardieu). Alors s’ensuit une scène d’anthologie dans laquelle les deux comédiens donnent un récital de leurs talents.
Dans ce film d’apparence modeste malgré ses deux grandes stars, Claire Denis réussit à filmer un visage défait, un ébranlement intérieur.
Le visage en pleurs de Juliette Binoche décrit l’état transitoire d’une vie intime qui a connu et connaîtra de meilleurs moments. Avec sa joie et son abattement, son sourire et sa résignation, sa fatigue et son exaltation, elle prouve l’évidente confiance réciproque entre l’actrice et la cinéaste qui donne un cinéma à la fois connu (dans le sens d’habituel) et totalement imprévisible.
Au départ, l’improbable projet était d’adapter « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes, mais c’est devenu plus personnel avec l’association, pour les dialogues, de l’écrivaine Christine Angot. Comme si l’inspiration était arrivée des propres dépits amoureux de ces trois femmes, sur la difficulté des rencontres amoureuses passé la quarantaine. Mais gardons-nous de toute supposition hâtive !
Bien dirigés, tous les acteurs sont excellents, à commencer par Xavier Beauvois qui ouvre la marche des divers amants et montre avec humour la goujaterie masculine.
Puis, le mari (Laurent Grévill) décrétant être propriétaire du lieu et de son ex-femme, ou encore le jeune soupirant à la désarmante immaturité...
Emotion et langage se croisent bien souvent entraînant des malentendus et des instants d’une drôlerie étonnante, entre sincérité et faux-semblants. Les mots, parfois chargés de double sens, brouillent la réalité. Pathétique, touchante dans sa quête de l’amour – l’amour vrai - Juliette Binoche joue, inspirée, sur le non-dit. C’est seulement dans le silence – rares moments – qu’elle peut mesurer le poids de ses sentiments.
Le rythme du film est rapide, supprimant les inutiles démarrages des diverses rencontres pour arriver aussitôt lorsque la relation est déjà entamée.
Ainsi le film montre l’essentiel, sans début ni fin, et insiste sur ce qui importe : le ressenti de cette femme sincère, ses émotions, ses illusions, ses déceptions. Ce sont des fragments de relations comme ceux du livre de Barthes.
Le voyant répand un vent de folie en décalage avec le reste du film et Depardieu sait magnifiquement en jouer en apportant du baume au mal dont souffre sa consultante. Il profère d’un ton sentencieux ce qu’il suppose qu’elle désire entendre, quitte à tâtonner ou à manipuler les mots pour s’adapter à l’expression du visage de la femme face à lui et ainsi lui donner la satisfaction souhaitée. On la voit retrouver sa propre certitude et peut-être un peu de sa jeunesse.
On connaît Claire Denis pour des films fiévreux où le désir est dévorant tel dans « Trouble every day ». Ici, elle se livre à l’exercice périlleux de la comédie. « Le Beau soleil intérieur » est étonnement drôle, malicieux, avec une surprenante virtuosité des dialogues. Est-ce dû à son association avec Christine Angot ? La chimie a bien fonctionné !
Caroline Boudet-Lefort