Se débattant dans la précarité, un couple de Newcastle est séduit par un travail autonome de livraisons pour le père. Pour y parvenir, il doit acheter sa propre camionnette, et pour cela sa femme, aide-soignante à domicile, doit vendre sa voiture...
Ken Loach raconte le chemin de croix de ce chauffeur-livreur pressé par son supérieur pour distribuer toujours plus vite des colis de la vente par correspondance en incessante expansion.
C’est une nouvelle manière d’exploiter la classe ouvrière, dépendante du pouvoir économique et tenue à des obligations de rendements draconiennes. La pression exercée nuit à la vie familiale. Dorénavant sans voiture, sa femme est de plus en plus aliénée avec de longues attentes aux arrêts de bus. Le fils, livré à lui-même, dérape dans la délinquance. Seul le sourire de la fillette apporte un rayon de soleil.
Dans cette famille unie, la vie les entraîne tous dans un tel rythme que, quoique vivants sous le même toit, ils ne se voient pas durant des journées entières. Le réalisateur montre la frustration entre les désirs personnels et le poids de la réalité sociale et familiale qui les entoure. Pour cela, il fallait une désignation du système dans lequel le héros s’embarque. Comme souvent chez Ken Loach, le film peut sembler démonstratif, ici particulièrement truffé de manipulations, coups tordus et coups de théâtre qui sont là pour en rajouter à ce que veut dénoncer le réalisateur. « Sorry we missed you », « désolé de vous avoir manqué » est le message laissé à la personne absente pour réceptionner la livraison. Les chauffeurs subissent des pressions pour que leur boulot soit exécuté rapidement, embouteillages ou pas, pannes ou pas, on veut rien savoir...
Si Ken Loach mélodramatise un peu trop, c’est par souci d’efficacité pour mieux enfoncer le clou, avec son talent rigoureux habituel. Tous les coups sont permis : précision documentaire et fougue romanesque. Ou avait-il besoin de prouver ce qu’il désigne ? Peut-être aussi pour éviter au film un aspect trop documentaire sur cette ubérisation effrénée de la société d’aujourd’hui. Le film – politique, social, engagé - questionne sans détour la déshumanisation de nos sociétés occidentales.
Les interprètes sont tous excellents : Kris Hitchen, le bosseur qui ne veut rien d’autre que le meilleur pour sa famille, Debbie Honeywood, une mère dévouée à tous, Rhys Stone, ado en révolte contre tout, Katie Proctor, triste gamine malgré son sourire lumineux, et enfin le chef, Ross Brewster, brillant débutant qui décrit le système : « on monte à bord, on n’est pas en gare ».
Pour la 15e fois, Ken Loach s’est associé à Paul Laverty, son scénariste attitré, pour l’écriture du scénario.
Comme l’a déclaré le cinéaste « Le marché ne se préoccupe pas de notre qualité de vie. Ce qui l’intéresse, c’est de gagner de l’argent, et les deux ne sont pas compatibles ».
Les dirigeants politiques du monde entier devraient voir ce film sur le néolibéralisme contemporain qui avance si vite que Ken Loach pourrait ne pas résister à réaliser encore un film sur l’aliénation de ceux qui travaillent face à la logique capitaliste.
Caroline Boudet-Lefort