On pénètre donc dans le film en le fuyant puisque ce n’est pas l’univers de ce réalisateur de cinéma d’auteur ou d’un cinéma cérébral axé sur sa propre vie. Ici, il nous entraîne dans des espaces illusoires, quoiqu’il s’empare d’un fait-divers réel, alors qu’il semblerait tiré d’un roman de Simenon sur la précarité contemporaine. Mais, malgré des policiers comme personnages principaux, c’est plus proche de « Crime et Châtiment » de Dostoïevski que le réalisateur s’est empressé de lire juste avant le tournage.
Pas étonnant que Desplechin ait à nouveau choisi pour cadre sa ville natale, mais qu’est-ce cette « lumière » du titre ?
Roubaix n’est pas lumineuse, elle est même cataloguée aujourd’hui comme l’une des villes les plus sinistrées de France par la mondialisation (ses fameuses usines textiles sont fermées). Cette lumière serait-elle une auréole invisible qui entourerait le visage du Commissaire de Police Daoud (Roschdy Zem) davantage préoccupé d’aider et secourir les autres plutôt que de réprimer par la violence. Plus soucieux de compassion que de répression, il cherche à comprendre l’évolution du monde actuel.
Le réalisateur s’attache à montrer sa ville à travers Daoud qui initie un nouveau flic, tout juste diplômé (Antoine Reinartz), en sillonnant avec lui les rues les plus secrètes de cette cité du Nord. Il dévoile ainsi le quotidien de deux flics plongés dans la noirceur de la misère sociale, deux policiers désabusés qui font leur travail répressif avec un peu de mal au coeur, derniers rouages impuissants d’une imparable mécanique de représentation de la Loi.
Ensemble, un soir de Noël, les deux policiers vont devoir pénétrer dans des recoins cachés pour clarifier le meurtre d’une vieille femme et découvrir la tanière de deux copines qui habitent à proximité de la victime. Convoquées et interrogées, elles subissent d’interminables gardes à vue pour les enjoindre de parler. « Il faut que ça sorte ! » est le mot d’ordre. Toxico et alcoolo, elles vont se torpiller réciproquement.
Léa Seydoux et Sara Forestier interprètent formidablement ces deux co-locataires à la relation trouble.
Elles prennent vie dans leur duo d’actrices qui singularisent les relations d’emprise et de désir amoureux. Crasseuses, enlaidies limite vulgaires, elles sont plus vraies que vraies en manipulatrices menteuses et n’auraient pas démérité d’un Prix d’interprétation féminine ex-aequo à Cannes, s’il n’était revenu à Emily Beecham dans « Little Joe » de Jessica Hausner.
Roschy Zem aurait lui aussi pu prétendre au palmarès cannois (doublé par Antonio Banderas). Il est parfait, totalement habité par ce personnage de flic débordant d’humanité et noué par le spectacle du malheur humain. Il se montre un peu protecteur paternel, un peu moralisateur tout en douceur. Pour lui, une chose est sûre : tout va mal dans la ville de Roubaix et personne n’y peut rien.
Comme toujours chez Desplechin, la mise en scène est impeccable. On reste pantois d’admiration devant ce film à tiroirs, une spécialité du réalisateur.
Bref, un film puissant et inattendu sur un Roubaix qui n’a rien de lumineux !
Caroline Boudet-Lefort