Une femme arrive de nuit sur une île bretonne isolée pour peindre le portrait d’une jeune aristocrate sortie du couvent pour un mariage contre son gré. Le tableau sera transmis à son fiancé qui ne l’a jamais vue, aussi refuse-t-elle de poser. Pour exécuter l’oeuvre, la jeune peintre doit la regarder durant les journées au cours de promenades où elle joue à la dame de compagnie, afin de la représenter de mémoire en cachette la nuit.
Dans un jeu de regards, la peintre, Noémie Merlant (une révélation), doit donc observer son modèle (Adèle Haenel), pour peindre ce portrait à la demande de sa mère (Valeria Golino) qui a décidé ce mariage sans l’avis de sa fille. Peu à peu, une complicité s’instaure entre la peintre et son modèle.
Durant l’exécution du portrait, la caméra se fait subjective pour laisser entendre et voir ce qu’entend et voit la peintre. Chacune des deux femmes observe l’autre et, passant par leurs regards, une intimité se crée entre elles.
C’est une véritable leçon de regards par des yeux chargés de lucidité et de désir : de ces regards naît un désir entre l’artiste et la jeune fille en feu. Regarder ne suffit pas, il faut toucher et les gestes deviennent de plus en plus sensuels. Elles sont toutes deux d’une époque où les femmes ont des places réduites et très hiérarchisées. Grâce à leur relation amoureuse, une égalité s’instaure entre elles.
En fait, les conventions d’un temps très corseté parlent des règles sociales actuelles, et ce film fascinant se montre très féministe sur la condition de la femme dans la société, que ce soit hier ou aujourd’hui. D’abord sur le droit à disposer de son corps, auquel s’ajoute celui d’une jeune servante (excellente Luàna Brajrami), enceinte et qui ne veut pas de cette grossesse.
Cette fiction tente d’échapper à un certain académisme en nous permettant de vivre l’expérience inédite d’une passion toute en retenue, en évacuant volontairement les scènes de sexe au profit d’un érotisme abstrait de tressaillements des visages ou de tremblements des mots et en s’arrêtant sur des parties du corps non érotisées.
Certains ont comparé ce film émouvant au cinéma de Jane Campion (« La leçon de piano », « Portrait de femme »), sans doute pour la beauté des images, mais il s’agit ici davantage d’un échange de regards et d’un discours amoureux où on interroge l’autre sans mot plutôt que d’un contact charnel. L’image remplace la présence, ou du moins la précède en « préparant » les souvenirs, ce qui est nettement signifié sur la fin, quand l’une rencontre l’autre sans être vue par elle, tel un fantôme.
Dans ce « Portrait » incandescent par le jeu des regards, Céline Sciamma montre avec justesse un peintre à l’oeuvre auquel s’ajoute un geste créatif vibrant qui rend compte du mystère de l’état amoureux et de la surprise de son apparition, de sa découverte. Pas d’hommes dans « Portrait de la jeune fille en feu », mais l’ensemble des présences féminines est totalement réussi, toutes les comédiennes sont parfaites.
Sélectionné en compétition au dernier Festival de Cannes, le film a obtenu le Prix du Scénario, récompense qui semble avoir déçu la réalisatrice lors de l’annonce du Palmarès. Pensait-elle avoir obtenu la Palme ? Oh, non ! Quand même pas !
Caroline Boudet-Lefort