L’un (grande gueule) et l’autre (plus réservé) vont partager avec lui la même voiture banalisée et ils lui montrent d’abord la « faune » qui mène le quartier : l’iman et les frères musulmans, le Maire et ses acolytes, d’anciens taulards plus ou moins rangés, les gamins ou « microbes », les adolescentes fumeuses de hash, les parents impuissants et résignés, les Gitans...
Avant d’entrer dans l’action, au début, pour camper le décor et initier le nouveau venu aux habitants d’une grande mixité, on le balade pendant plus d’une demi-heure, sans rien de pédagogique tant les savoureux dialogues en font un véritable spectacle teinté d’humour.
Puis le film prend son élan : un lionceau étant volé par un gamin dans le cirque des Gitans, les trois flics veulent retrouver le coupable avant eux pour éviter qu’ils fassent leur propre justice, provoquant une guerre ouverte entre tous les habitants.
Dès lors, la caméra s’agite en plans rapides, précipités, entre des cris et des coups qui s’abattent dans un attroupement mal maîtrisé, jusqu’au bruit d’un tir de flash-ball atteignant le visage d’un l’enfant qui s’effondre. Silence. Le temps se fige... Puis s’accélère à nouveau, car la bavure a été filmée par un drone équipé d’une caméra. Il faut confisquer cette preuve pour que les faits n’aient pas existé. L’essentiel après une bavure, c’est de la camoufler. Le gamin sera tombé, voilà tout !
Ce n’est pas les gentils jeunes contre les vilains flics, ni le contraire. Il y a des bons et des méchants des deux côtés.
La misère entraîne des petits trafics d’où des contrôles et des embrouilles. Le quartier est une poudrière, il y a les clans et les petits arrangements de chacun pour que ça ne parte pas en vrille. L’oppression, décrite et dénoncée par les rails du scénario, encadre tous les élans. Ladj Ly ne juge pas, mais dénonce un système dont tout le monde est la victime, que ce soient les flics ou les habitants.
« Les Misérables » est un film-choc avec des images inoubliables prêtes à exploser au visage.
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Ladj Ly a appris à filmer sur le tas et a déjà signé plusieurs documentaires avant de co-réaliser, avec Stéphane de Freitas, l’excellent « A voix haute ». Né à Montfermeil de parents maliens, le jeune réalisateur (38 ans) a toujours vécu dans cette cité de banlieue qu’il connaît parfaitement et où il a ouvert une école de cinéma. C’est là que Victor Hugo a autrefois écrit et situé une partie de son célèbre roman qui a donné son titre « Les Misérables ».
Dans ce film intense, émouvant, magnifique, il y a une électricité qui parfois traverse les plans. Elle peut surgir des acteurs insolents et bourrés de rage, tous formidables étant perpétuellement tendus. Citons les trois policiers en civil : Alexis Manenti (également coscénariste), Djebril Zonga et Damien Bonnard en nouveau venu provincial, et la surprenante présence de Jeanne Balibar en commissaire, auxquels s’ajoutent des nouveaux venus repérés dans la rue.
Sélectionné à la surprise générale au dernier Festival de Cannes, « Les Misérables » a obtenu le Prix du Jury, (ex aequo avec Bacurau) et maintenant il représente la France dans la course aux Oscars. « Les Misérables » est promis à un grand succès international !
Caroline Boudet-Lefort