Damien est un peintre bipolaire qui refuse tout médicament pouvant l’aider à maintenir une vie supportable pour son entourage et lui-même. Sa compagne (Leïla) atteint le point extrême de toute patience et leur fils ne comprend rien à ce comportement excessif qui le met même en danger au cours d’une balade en bateau où son père, ayant envie de nager, l’abandonne à la barre en le laissant revenir au bord seul malgré son jeune âge. Sans compter qu’un autre jour Damien arrive soudainement dans la salle de classe de son fils pour faire une surprenante distribution de gâteaux à tous les élèves.
Tout s’agite dans la tête de ce peintre dont le désir semble dissocié de toute réalité et qui agit selon une pulsion momentanée - cependant sans aucune satisfaction, car nullement maîtrisable. Parfois la raison lui revient et il donne le change, mais parfois, dans sa folle imagination, il passe en quelques secondes du rire à la colère, du calme à la paranoïa, de la tendresse à la violence. Ses paroles deviennent exaltées et ses comportements varient du blanc au noir, de la vie à la mort. L’ambiance devient lourde ! Tout vire au chagrin, à cause de la démesure et des dérapages à répétition. Un débordement de trop et la solidité du couple en souffre ! En oscillant entre résignation et ressentiment, Leïla reste suspendue aux troubles de Damien, en insistant sur les prises de médicaments. Ainsi, on les voit parfois dans la joie comme au cours d’un trajet en voiture où ils chantent à pleine voix.
Dans l’atelier de Piet Raemdonck où il travaille - et dont on peut admirer les oeuvres - Damien Bonnard a le geste adéquat du peintre au travail, car il a étudié aux Beaux-Arts. Ainsi, même s’il est dans une transe créative comme l’est un artiste en cours d’inspiration, il reste crédible dans sa création, quoique hyper actif et instable.
Le couple est magistralement interprété par Leïla Bekhti et Damien Bonnard qui conservent leur prénom pour incarner leurs personnages. Cela ajoute-t-il de la réalité ? Qu’importe... Leur fils, un adorable gamin, est incarné par Gabriel Merz-Chammah, petit-fils d’Isabelle Huppert.
Cette bipolarité, Joachim Lafosse la connaît bien car son père lui-même était atteint de cette psychose maniaco-dépressive, imposant à sa famille un comportement totalement instable. Il offre donc un récit saisissant de cette maladie psychique qui fait des ravages tels que deviennent « intranquilles » tant celui qui en est atteint que son entourage complètement désarmé.
Joachim Lafosse était pour la première fois cette année dans la course à la Palme d’or à Cannes, où il avait déjà présenté « A perdre la raison » en 2012 dans la sélection Un Certain Regard et « L’économie du couple » en 2016 à la Quinzaine des Réalisateurs. Il s’est toujours penché sur les problèmes de la vie en couple, mais cette fois, avec cette bipolarité destructive, tous sont des « intranquilles », le malade et sa famille. Et même le spectateur qui reste suspendu à cette peur d’un éclat imprévisible.
Caroline Boudet-Lefort