Entrer dans la Mafia, c’est entrer en barbarie : « si tu ne tue pas, tu es tué ».
Les révélations de Tommasso Buscetta au juge Giovanni Falcone entraînent l’arrestation de 475 personnes et aboutissent au « maxi procès » de centaines de mafiosi, parmi lesquels Toto Riina, chef sanguinaire sans égal.
« Le Traître » commence dans une apparence de « déjà-vu » dans toutes les histoires sur la mafia : tueries explosives, fusillades sanglantes, paranoïa, fuites...
Mais Marco Bellocchio axe vite son film sur des individus précis avec leurs émotions et leurs regards ou encore leur sincérité, véritable ou simulée.
Dans ce captivant film de près de 2 heures et demie, Bellocchio a la capacité de passer de scènes sociales à des scènes intimes, avec des regards et des paroles – entre vérités et mensonges - plutôt que des coups de feu.
Il reste ainsi fidèle à son lyrisme habituel dans ses oeuvres fortes et inspirées. Ici, les passionnantes scènes de procès en sont la preuve.
Réfugié au Brésil pour échapper aux règlements de comptes internes de la Cosa Nostra, Tommasso Buscetta en sera extradé au bout de trois ans. Dès son retour au pays, il décide, de trahir le serment fait à la Mafia. Mais est-ce la trahir alors que ses fils et ses proches ont été assassinés en Sicile tandis qu’il était au loin ? Il va parler au juge Falcone (Fausto Russo Alesi) sans être un repenti, mais comme un homme de vérité.
Pour ce conflit national entre le pouvoir et la mafia, Bellocchio a fait une reconstitution des années 1980 et du milieu de la mafia, utilisant cependant des bandes d’actualité pour l’assassinat du juge Falcone.
Le scénario a la sombre beauté des tragédies classiques dans cet intelligent film de gangsters, style « Casino » de Scorcese ou « Le Parrain » de Coppola. Pierfrancesco Favino est le formidable interprète de Tommaso Buscetta. On peut souligner l’importance des échanges de regards, directs ou obliques. Comme les points de vue qui se multiplient et s’enchevêtrent. L’écran est envahi d’avocats et de nombreux mafieux dans des cages qui entre dénis et aveux de culpabilité cherchent à s’en tirer face aux juges.
Atteignant les 80 ans, Marco Bellocchio a derrière lui une longue et passionnante filmographie, toujours appréciée mais rarement récompensée (parfois en Italie et si peu à Cannes, sinon les prix d’interprétation féminine et masculine pour « Le Saut dans le vide » en 1980).
Ses films ont souvent fait scandale : dés 1968 avec son premier long-métrage « Les poings dans les poches », puis en 1986 pour une scène sulfureuse dans « Le diable au corps », ensuite pour sa charge contre l’Eglise dans « Le sourire de ma mère » .... En soulevant un des problèmes cruciaux de la Sicile et de l’Italie entière, "Le Traitre" aurait pu aussi faire scandale. Très apprécié, il a eu un grand succès !
Caroline Boudet-Lefort