En bronze et pesant 750 kilos, cette statue, qui date de 200 ans avant J C., a été découverte en 2013. Il faut donc d’abord clarifier qui l’a trouvé et comment. Un nageur aurait vu dans la mer une main levée et aurait d’abord cru à un cadavre. Puis des pêcheurs l’ont sortie de l’eau et ont tenté de la vendre au maximum pour changer de statut et faire une fête (sic !).
Photos et rumeurs circulent. Est-elle grecque ? Romaine ? On ne sait pas, mais si elle est grecque, elle vaut beaucoup plus cher. Objet de toutes les convoitises, les uns assurent que leur musée serait le mieux pour sa conservation, d’autres seraient prêts à monnayer la construction d’un musée palestinien en échange de la fameuse statue. Mais, où est-elle ? Elle a disparu, personne ne sait où. Sa disparition tourne en suppositions les plus rocambolesques. Les autorités palestiniennes l’auraient-elles cachée ? A-t-elle été acheté par un riche étranger ? Est-elle gardée en otage par le Hamas ? Les rumeurs s’emballent. On n’exclut aucune piste. C’est le règne du flou et de la post-vérité. Mais aussi d’un humour involontaire.
Avec l’indignation des amateurs d’art, des récits s’entremêlent à profusion sur plusieurs continents. La mer n’appartient à personne. La statue a donc été trouvée nulle part ! Aurait-elle été transportée d’Egypte à Gaza ? Serait-ce un faux réalisé il y a quelque 30 ans ?. Un spécialiste affirme que vu son état de conservation, elle ne peut avoir séjourné depuis l’Antiquité dans la mer où le sel l’aurait attaquée. S’agirait-il alors d’un faux ?
L’enquête sur la statue sert de fil rouge pour aborder la vie à Gaza autrement que par des attentats et des tirs depuis Israël. On voit les habitants dans leur quotidien et, malgré leur peur diffuse, ils continuent de vivre « presque normalement ». Ce qui est d’ailleurs une forme de résistance. Y pénétrer est passionnant, même si c’est la statue d’Apollon qui sert de prétexte.
On voit les gens chez eux, car ils n’ont pas le droit de parler dans la rue, tel ce collectionneur d’art dans sa pépinière de cactus.... Grâce à cette statue, c’est une formidable opportunité de parler de la Palestine, tous disent la politique totalement inopérante. Il faudrait ouvrir une autre porte et avoir beaucoup de patience, mais pas d’abnégation ni de soumission. Le temps, c’est ce qui importe pour sortir de l’oppression. Le blocus israélien, c’est peu de choses en fonction de l’ancienneté du pays millénaire. Cette terre a rencontré toutes les cultures, elle a un passé avec une Histoire, mais a-t-elle un avenir ?... Cette fois pour parler de Gaza, il est question d’amour, puisque Apollon est le dieu de l’amour. Pas un dieu en fait, mais un mythe, comme Aphrodite, ou Jupiter et les autres.
Le réalisateur a travaillé intensément. D’abord pour obtenir le droit de pénétrer dans ce pays fermé où il multiplie les entretiens sans adopter une approche morale ou idéologique. Il se limite au point de vue archéologique – ou scientifique – de cette mystérieuse statue.
Il n’y a pas un endroit au monde aussi occupé que Gaza : on peut voir le terrible contrôle social et le quotidien mortifère des habitants. Les gens restent très soudés entre eux et sont très drôles tout en refoulant une profonde tristesse. Le véritable sujet du film, c’est Gaza. C’est parler des gens qui y vivent autrement que par le sang et les larmes. La disparition de la statue est ressentie comme une atteinte à sa découverte sur leur « territoire ». La statue est en rapport avec leur statut.
Parler de cette statue, c’est abandonner la véracité. Est-ce une fausse statue ? Pour les gens de Gaza, elle est vraie, elle existe. Il n’y a pas une seule vérité, mais autant de vérités que de personnes interrogées et chacune garde son intime conviction. Comment se faire une opinion ? Cela pose évidemment la question du vrai et du faux, et celle du temps.
« L’Apollon de Gaza » a été montré en Palestine, mais pas à Gaza. Souhaitons un grand succès en Europe à ce film ni triste, ni gai, mais enthousiasmant.
Caroline Boudet-Lefort
NDLR : Le film a été présenté en avant-première aux Arcades à Cannes, en présence du réalisateur Nicolas Wadimoff.