Drôle comme toujours, Elia Suleiman joue son propre rôle de cinéaste palestinien sous les initiales de ES.
Représentant de tous les malheurs de son pays, on le voit déambuler d’abord à Nazareth où il est né, puis plus longuement dans les rues de Paris, enfin dans celle de New York.
Nous l’avons compris dans « It must be heaven », il n’y a pas réellement d’action, ce qui n’empêche pas le film d’être un véritable régal, tant la précision du burlesque est impeccable. Être drôle et palestinien n’est pas une contradiction. Avec une désopilante insolence, Elia Suleiman montre qu’il n’y a pas d’armes à feu dans les rues palestiniennes, mais que, par contre, il y en a plein à Paris et à New York, entre les nombreux flics et les défilés militaires. Avec une inspiration visionnaire, il semblait avoir prévu les samedis combatifs des Gilets Jaunes et il exhibe un Paris déserté et sécurisé, sillonné de policiers armés suspectant tout et n’importe quoi, mesurant au millimètre près une terrasse de café.
Poétique et imprévisible, le personnage principal ne prononcera qu’une seule phrase dans tout le film, alors que, comme on l’a déjà compris, il s’agit d’un cinéaste qui trimbale sa dérisoire carcasse entre Nazareth, Paris et New York. Un cinéaste perdu dans le monde, mais d’une drôlerie irrésistible. Il confirme sa précieuse singularité pince-sans-rire, de la même veine que celle de Tati, de Buster Keaton ou encore d’Otar Iosseliani...
Cet hallucinant personnage constate que son pays le suit partout comme son ombre. Aussi loin qu’il voyage quelqu’un ou quelque chose lui rappelle sa nationalité : un producteur (Vincent Malavel, dans son propre rôle) trouve son scénario pas assez « palestinien », un chauffeur de taxi étonné de voir en live un Palestinien.... Où peut-on se sentir « chez soi » ?
Avec perplexité et un regard empreint de poésie, il observe la folie du monde. « It must be Heaven » (Cela doit être le paradis). Ah ! Oui, vraiment ! Faut-il le croire ?
Car, il suggère aussi combien la nationalité est précaire, prête à exploser à tout moment. Ainsi il découvre l’impérialisme de la langue anglaise grâce au comédien Gael Garcia Bernal qui refuse de tourner en anglais un film sur la conquête du Mexique. Lui ne parle pas comme dans le cinéma muet, car il se méfie du langage. Le cinéma est fait d’images, il est visuel. Le langage verbal est trop informatif, alors qu’Elia Suleiman ne veut pas informer. Chacun peut se faire sa propre opinion.
Pour cet autoportrait absurde, cocasse et inquiétant, il réalise un film remarquable de malice et d’invention stylistique avec des gags énormes d’un humour laconique et un inventif art de la mise en scène d’une originalité salutaire.
Une curieuse – et exceptionnelle - « Mention Spéciale » a été attribuée à Cannes au film tendre, désespéré et burlesque de ce talentueux palestinien, un être universel, un poète burlesque, qui, avec fantaisie et drôlerie, parle en douceur à l’oreille de chacun.
Caroline Boudet-Lefort