Malgré un fond prévenant qui semblait indestructible, la grand-mère du bébé (formidable Ariane Ascaride, prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise) n’est plus qu’amertume et rancoeur dans une vie où elle fait des ménages -« la nuit, c’est mieux payé ! »- et nettoie la merde des autres. Alors, le syndicalisme et les grèves solidaires, oublie-moi ! Elle a perdu tout sens de la solidarité et n’attend plus rien de la vie. Elle le dit à son ex (père de sa fille, la jeune maman du bébé) qui revient parmi eux après un long « séjour » en prison et qui constate à quel point toute la famille est tenue de s’accrocher à des boulots ingrats et mal rétribués. Y compris ceux qui semblent s’en sortir - du moins matériellement -, c’est-à-dire la demi-soeur de sa fille et son abominable mari, vulgaire et désinvolte. Ils s’en sortent, certes, mais en écrasant, en exploitant les autres sans scrupules. Et si le gentil couple, parents du bébé, tente de les imiter dans leur objectif à la réussite, il s’en montre incapable, n’ayant pas la nécessaire mentalité d’usuriers et d’exploitants.
Bref, tout ce monde va mal et les scènes de réunions de famille (dont raffole toujours Robert Guédiguian) sont sinistres dans ce film. Les coeurs sont desséchés par l’aliénation à leur vie quotidienne et la défaite idéologique. Personne ne peut réchauffer l’autre et lui transmettre un minimum de la tendresse habituelle chez ce réalisateur méridional.
Tout se passe dans un Marseille commercial, sans rien de touristique, mais avec des scènes de rue où l’on peut voir le cosmopolitisme des habitants de cette ville. Chacun y marche seul, sans repos. Ceux qui viennent au magasin de revente sont aux abois, matraqués par l’accumulation de factures à payer, incapables de faire face à l’accélération de sa misère.
Protégé de cette société effondrée, celui qui vient se sortir de prison se sent plus propre que les autres (malgré son crime initial).
Il ne croupit pas dans ce marigot où chacun appuie sur l’autre pour tenter lui-même de s’en extraire par un boulot plus ou moins lucratif. Pour l’ex-prisonnier, il suffit d’écrire des haïkus sur la fugacité du temps pour que son visage soit détendu, comme repassé. Cette habitude prise en taule lui permet de s’éloigner de toute désillusion et même de la colère face à cette noirceur tragique. En exprimant combien il se sent éloigné de ce monde de luttes qu’il n’avait pu imaginer durant ses longues années de détention, il n’entrera pas dans cette course collective qu’il réprouve totalement.
Déjà mort à la vie, il sera le seul à faire un véritable et salvateur acte d’amour. C’est l’émouvant Gérard Meylan qui l’interprète et la dernière image du film, où son regard fixe le spectateur, semble interroger celui-ci : en quoi la collectivité est-elle responsable ?
Outre Ariane Ascaride et Gérard Meylan déjà cités, toute l’habituelle bande d’excellents comédiens des films de Robert Guédiguian se retrouvent dans « Gloria Mundi », avec leur complicité de jeu rodée depuis longtemps
Jean-Pierre Darroussin et Anaïs Dumoustier qui semble avoir rejoint le groupe depuis « La Villa » son film précédent. Robinson Stévenin, Lola Neymark et Grégoire Leprince-Ringuet complètent cette excellente distribution.
Caroline Boudet-Lefort
« Gloria Mundi » a été présenté en Avant-première au Cinéma « Les Arcades » à Cannes, avec un débat animé par Bernard Sasia, le chef monteur habituel de Robert Guédiguian.