D’emblée, il est précisé que le film se déroule « dans un futur proche ». Mais cette histoire métaphorique peut laisser supposer que c’est de nos jours, et que les événements - depuis l’élection de Bolsonaro - l’ont déjà rattrapé. Les doigts dans la prise du temps, « Bacurau » est un film d’électrocutés, avec un style coriace et un rythme frénétique. Ses étincelles foudroient une petite communauté menacée par des envahisseurs.
Bacurau a tout d’une petite ville de western : une seule rue, un bar, un bordel, une église et un mini-musée pour honorer les résistants locaux.
Car, il s’agit d’un foyer de résistance qui réunit les derniers téméraires de la terre, au fin fonds de notre monde dans le Sertào, région aride du Nordeste brésilien. Lorsque la doyenne de Bacurau meurt, cette petite ville imaginaire disparaît. Elle semble rayée mystérieusement des cartes, des panneaux indicateurs et de tout GPS, ce qui lui donne une gloire mythique. Cependant, si d’un déclic des étrangers peuvent désactiver un territoire, il sera vain pour le spectateur de chercher des images futuristes, sinon des drones agressifs qui planent au-dessus des personnages, et des étranges graines psychotropes qu’avalent les villageois de Bacurau pour avoir la force d’accomplir leur vengeance politique.
« Bacurau » fait totalement suite à « Aquarius ».
Ici aussi, il est question de territoire et de résistance pour ne pas se laisser déposséder. Un appel à la résistance en forme de western dans ce village utopique qui est le reflet du Brésil contemporain d’une société métissée dans leurs gènes, leurs cultures, leurs religions empreintes de rites magiques.
A travers cette minuscule société villageoise, c’est du Brésil tout entier dont il est question et de son terrain de bataille. Le film tourne au western. Investie par une milice américaine, menée par Udo Kier (acteur allemand chez Fassbinder et Lars Von Trier), Bacurau est menacée par des prédateurs. Qu’ils soient Brésiliens ou Américains, politiciens corrompus ou militaires, pour cela les armes ou la suppression de ressources vitales élémentaires font tout autant l’affaire. Pour cette résistance des humbles contre les puissants, les villageois font appel à un « cangaceiro », ce guerrier populaire de temps anciens qui s’oppose à l’exploitation des pauvres. Avec ce personnage mythique, les réalisateurs rendent ainsi hommage à Glauber Rocha, réalisateur du « cinéma novo » des années soixante. Assisté par des motocyclistes locaux, cet ancien bandit organise la survie de l’espace des habitants de Bacurau jusqu’à un final bain de sang effroyable. Mais dans cet allégorique western violent, où comme il se doit il est question de vengeance, cette fois ce sont les Américains qui trinquent. La guerre est déclarée !
Bien interprété par tous les « habitants » de Bacurau, avec Barbara Colen et Sonia Braga en tête, cet implacable film déroute par son récit éclaté, saupoudré de références à l’histoire et à la culture brésilienne, et parsemé de science fiction, de western, de slasher movie...
Lors du très politique palmarès du dernier Festival de Cannes, « Bacurau » a été récompensé par le Prix du Jury, ex-aequo avec « Les Misérables » de Ladj Ly.
Caroline Boudet-Lefort