On le voit au travail dans l’attente du client, tandis que les voitures passent, ralentissent, repassent avant de reprendre de la vitesse après un temps d’observation ou de négociation.
Le film capte les parades névrotiques des rapports amoureux immédiats, rapides. Les rencontres avec des hommes de passage s’enchaînent, mais c’est l’amour que Léo cherche, alors que celui auquel il accroche ses sentiments le repousse, à coups de pied si son insistance est trop pressante. Malgré les humiliations, il garde une intégrité rayonnante. Rien ne l’atteint. Et l’argent ne l’intéresse guère, sinon pour avoir un peu de drogue qu’il trouve naturel de consommer.
Réaliste en ce qui concerne la sexualité entre hommes, le film est à la fois sentimental et tragique (on peut y voir la lutte des classes) et le spectateur s’attache à ce personnage proche de ceux des films de Pasolini ou de Fassbinder, avec la même forte énergie vitale.
Pour prêter chair à une matière humaine si ardente, les acteurs jouent dans la spontanéité, avec des gestes et des paroles qui sont le miroir de comment ils aiment.
La caméra les suit, les capte. Les scènes se succèdent et courent selon le rythme rapide du parcours de ce « sauvage » qui est désespérément en quête de l’amour, mais qu’il ne saurait le saisir quand il est à sa portée. Dans cette société marginalisée et précaire, les rapports avec les autres prostitués sont parfois amicaux, parfois rivaux avec une brutalité de fauves, de bêtes « sauvages », surtout si l’un d’eux casse les prix de la passe. Sans voyeurisme, la fiction prend alors des allures de documentaire et montre la pluralité du désir.
Y a-t-il des mauvaises raisons d’aimer ?
Un « collègue » dit à Léo de s’acoquiner avec un « vieux riche ». Il y a ce bourgeois qui veut l’amener au loin, au Québec, mais Léo résiste à changer de vie. Quoiqu’il soit humilié, négligé, abandonné, cette vie abrupte lui convient.
Malgré les scènes brutales de sexe et de violence, le film dégage une grande douceur.
C’est peut-être lié à l’interprétation de Félix Maritaud qui rayonne dans cet univers sombre.
Révélé l’an dernier pour son rôle dans « 120 battements par minute » de Robin Campillo et vu dans « Le couteau dans le coeur » de Yann Gonzalez, Félix Maritaud est de presque tous les plans dans ce premier long-métrage, puissant et poignant, de Camille Vidal-Naquet. Le jeune comédien n’a pas peur de la nudité, ni de la violence. Imprégné de ses études aux Beaux-Arts abandonnées pour le cinéma, il a le désir de travailler sur l’image du corps de l’homme, « l’image de la virilité et de la masculinité dans la société » dit-il. Formidable dans le rôle de Léo, il a reçu le prix d’interprétation masculine de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes où « Sauvage » était présenté.
Caroline Boudet-Lefort