Chargée de courir les boutiques de luxe pour y emprunter vêtements et bijoux, une jeune Américaine s’occupe de la garde-robe d’une célébrité (actrice ? chanteuse ?...) qu’on ne verra jamais.
Ce boulot n’est, pour elle, qu’alimentaire. Elle n’aime pas son travail, mais cela lui permet de payer son séjour à Paris, avec un seul objectif : communiquer dans l’au-delà avec son frère jumeau qui vient de mourir d’un accident cardiaque.
Sa vie est hantée par cet absent. Toutes les déclinaisons du manque sont esquissées jusqu’à l’extrême. Elle attend un signe et cherche une manifestation surnaturelle promise avant sa disparition, persuadée que, lors d’une mort récente, le contact demeure avec le disparu. Elle sent la présence de son frère, lui parle, s’identifie à lui, attend des messages de sa part en retour.
Les hallucinations peuvent faire partie du deuil lorsque l’on refuse d’admettre la « disparition » de l’autre. Celui-ci semble alors se manifester sous des formes différentes. Ainsi, dans un temps suspendu, troué de rêves surréalistes, le film s’encombre d’imagerie fantomatique et d’effets spéciaux de voiles enveloppants ou de matières opaques tournoyantes. Dans son deuil pathologique, l’héroïne entend des bruits bizarres et se crée des apparitions. Elle reçoit sur son portable de mystérieux SMS d’un numéro inconnu, dont le spectateur ne saura rien, ce qui laisse toutes les suppositions possibles.
S’ajoutent au film des références au goût de spiritisme qui a largement nourri l’inspiration des artistes des XIXe et XXe siècles. Voulant communiquer avec sa fille Léopoldine, morte noyée, Victor Hugo en fut adepte et il est présent dans le film sous les traits de Benjamin Biolay.
Vie et mort s’alternent et s’opposent.
Ce jeu sur le rapport entre le visible et l’invisible évoque le cinéma. Les acteurs disparus viennent hanter nos écrans, fantômes à tout jamais. Mais sommes-nous certains que le message du réalisateur soit si évident ? Cependant, quelque chose palpite dans ses films. Quelque chose d’infiniment séduisant qui tient de la fluidité des plans-séquences et de la qualité picturale des images. D’autant que, malgré des trous dans le scénario, « Personal shopper » est magistralement mis en scène. Au dernier Festival de Cannes, il a d’ailleurs été récompensé (ex aequo avec Cristian Mungiu pour « Baccalauréat ») du prix de la mise en scène.
Deux ans après « Sils Maria », Olivier Assayas a de nouveau choisi Kristen Stewart pour le rôle principal. Elle a la gravité de quelqu’un qui a perdu un être cher pour naviguer entre l’au-delà et sa réalité professionnelle, très concrète et très moderne, de marques de luxe connues. « Personal shopper » est le terme utilisé pour cet « esclavage » contemporain de stars qui relèguent le soin de choisir fringues et bijoux pour leurs invitations mondaines à venir.
Kristen Stewart a dit vouloir faire ressentir que son personnage est une jumelle à la recherche d’une complémentarité perdue avec son frère mort. Elle a choisi un look très simple, presque androgyne, pour que son apparence reflète son rapport amour/haine avec le monde de la mode. L’essayage de robes – pourtant interdit - lui donne l’occasion de tenter de se transformer en vedette. Elle est fascinée par ce qu’elle déteste et éprouve de la honte pour cette attirance. Fantasmes et hallucinations transcendent cette histoire où, très affairée dans le monde du luxe, elle y est aussi comme absente, comme si elle était extérieure à cette activité, uniquement préoccupée d’attendre un signe de l’au-delà, affirmant ainsi sa foi dans la survie de l’âme.
Un étrange film ensorcelant et ambigu, que l’on croit ou pas aux fantômes !
Caroline Boudet-Lefort