« Pacifiction » est un grand film de politique-fiction avec un immense Benoît Maginel. L’acteur, qui ne cesse de se bonifier de film en film, interprète, dans ce thriller tropical, le Haut Commissaire de la République sur l’île de Tahiti, en Polynésie. Costume blanc et lunettes fumées, il a pris de l’épaisseur et conserve tout au long du film (qui dure 2 heures 45 !) une opacité qui lui sied à merveille pour représenter la France en allant de réunions en réceptions. En fait, par son jeu empreint d’ambiguïté, il semble représenter tous les hommes politiques de la planète.
Soudain le Haut Commissaire De Roller est envahi d’une paranoïa affolante, lui qui sait si bien circuler dans les salons où il a toujours le mot adéquat et chaleureux pour chacun, homme ou femme et quelque soit sa fonction. Mais, voilà qu’il s’inquiète du risque de la reprise d’essais nucléaires : il y a des rumeurs et, avec ses jumelles, il a découvert sur la mer un point qui pourrait être un sous-marin rôdant à proximité...
Par son cadrage des plans, le cinéaste joue avec ce que l’on ne voit pas et insidieusement le film stimule l’imagination de chaque spectateur à s’égarer.
« Pacifiction » - sous-titré « Tourments sur les îles » - semble habité par le frémissement du monde qui l’entoure, en restant à l’écoute de tous les sons de la nature qui soulignent les moments de silence. Le temps est suspendu lorsque De Roller regarde, à la surface de la mer, ce point minuscule qu’il suppMettre en grasose être ce dangereux sous-marin fantomatique. La mer devient un personnage qui participe à la part de mystère que le film distille.
« Pacifiction » est empreint d’une poésie permanente, quelles que soient les scènes de boîtes de nuit, de mer, d’isolement ou de rencontres. Un romantisme noir et ardent règne de bout en bout sur ce film insolite.
Benoît Magimel s’agite dans la moiteur de Tahiti.
Dans son costard blanc, le comédien n’a jamais été aussi magnifique et nombreux étaient ceux qui lui auraient donné sans hésiter le prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Cannes, où le film était en compétition et dont il est étonnamment reparti bredouille.
Pourtant, l’acteur est-il ici le personnage qu’il interprète ou reste-il avant tout lui-même, comme pour le rôle de Louis XIV dans le précédent film d’Albert Serra ?
Avec sa part de mystère et de poésie qu’il distille langoureusement, « Pacifiction » dégage une atmosphère opaque qui ne nous lâche pas à la fin de la projection. Ce film est envoûtant, nous l’avons dit, comme ont pu l’être les films de Marguerite Duras et particulièrement « India Song » qui par son exotisme avait la même moiteur coloniale et suscitait aussi une multitude de fantasmes.
Caroline Boudet-Lefort