Présenté en première mondiale au Festival de Berlin (2013, section Generation), le film a ensuite obtenu le Prix TV5 Monde du meilleur film francophone au Festival Transilvania Internatioan de Cluj, puis une mention du jury au Festival du Film Indépendant de Bordeaux ; d’autres prix ont suivi au Festival d’Auburn (Australie), au Festival Russian Abroad de Moscou...Un film à découvrir !
Synopsis
Lucia, une maman russe de 35 ans, et Marussia, sa petite fille de six ans, errent dans les rues de Paris, valises en main.
Elles cherchent chaque nuit un endroit où dormir au gré des rencontres et du hasard. Malgré l’incertitude et le regard désapprobateur de leurs compatriotes, la mère et la fille partagent de tendres moments. Est-ce assez pour tenir ? Un beau conte urbain vu à hauteur d’enfant, qui sait voir et trouver les merveilles dans le trivial, mais aussi regarder la réalité en face.
Interview : Camille Jouhair (distributeur), Eva Pervolovici (réalisatrice) et Dinara Drukarova (actrice)
C.J. : Qu’est ce qui vous a motivé pour réaliser un film tel que Marussia ?
E.P. : C’était vraiment la rencontre avec la petite Marussia.
Je ne cherchais pas un sujet à l’époque, ou je ne me suis pas dit que je voulais faire un film avec des personnages russes à propos d’immigration. Tout simplement, un jour, il y a cinq ans, j’étais dans une salle de cinéma pour une masterclass de Nikita Mikhalkov, et Marussia, qui avait 3 ans à l’époque et ne parlait pas du tout français, est venue me parler en russe, jouer avec moi et je suis tombée sous son charme instantanément. Je n’écoutais plus du tout la masterclass, on a fait des photos ensemble. C’est grâce à cette rencontre que tout a commencé et que j’ai voulu
raconter cette vraie histoire.
C.J. : Cette vraie histoire, de quelle manière l’avez-vous connue ?
E.P. : Après avoir rencontré la petite Marussia, j’ai regardé dans la salle et je me suis demandée à qui appartenait cette enfant. J’ai vu sa mère et je lui ai demandé son numéro de téléphone, ce que d’habitude je ne fais pas car je suis plutôt timide et que je n’aborde pas les inconnus comme je l’ai fait là. C’était un coup de chance car j’aurais pu rentrer chez moi sans son numéro. Ensuite, petit à petit j’ai commencé à
les voir toutes les deux, à apprendre leur histoire. Mais je me suis rendu compte que l’on n’allait pas faire un documentaire ni une adaptation exacte de l’histoire vraie, et c’est bien là tout le travail qu’on a fait ensemble avec Dinara, de créer un personnage de fiction à partir des personnages de la réalité sans que cela soit une reproduction exacte de la réalité.
C.J. : Cette histoire a-t-elle été racontée quelque part, dans un cadre littéraire ou autre, ou bien est-ce une histoire que les gens ont véhiculé sur cette femme, à cause de son parcours ?
E.P. : Ce sont des petites histoires qu’elle m’a racontées mais c’est aussi moi qui ai passé du temps avec elle pendant une année. Je l’ai suivi avec une petite caméra 5D. Je filmais des scènes qui sont en fait les mêmes scènes que dans le film mais avec une mise en scène et des acteurs. Cela mélange des histoires racontées et vécues, de fiction, des histoires que j’ai inventées.
C.J. : C’était une femme russe qui était mannequin et vivait à Paris, qu’est ce qui fait que sa vie a basculé ?
E.P. : Ce qui m’a intéressée dans son histoire, c’est qu’il ne s’agit pas de l’immigrante typique, du cliché auquel on pense, misérabiliste et moche. C’est au contraire une femme très belle qui a beaucoup de respect de soi, qui a une énergie et une beauté que d’habitude on n’associe pas aux immigrants. C’est le fait qu’elle ne soit pas comme les autres ou bien que les autres ne soient pas comme on pense qu’ils sont qui m’a fascinée.
C.J. : A-t-elle accepté assez facilement une adaptation cinématographique de sa vie ?
E.P. : Oui bien sûr. Pour elle, c’était naturel, c’est ce qui devait se passer.
C.J. : Vous avez proposé le projet à plusieurs productions ?
E.P. : Je suis allée directement voir Janja Kralj. On avait de très bonnes relations, je lui avais d’abord proposé un court métrage mais elle m’a dit qu’elle n’était pas intéressée par le court métrage, et elle a raison. Du point de vue du producteur,
c’est le même effort et le même processus pour faire un court et un long métrage.
Je lui ai parlé de ce sujet avant même d’avoir un scénario et on était d’accord pour
faire un film. Je me suis donc mise à l’écriture d’un scénario et après quelques mois, on a développé tout le projet ensemble, dès le début.
C.J. : Comment s’est déroulé le casting pour trouver l’actrice qui pouvait incarner ce personnage ?
E.P. : Le casting a été vraiment dur parce qu’on a mis des mois à avoir toutes les comédiennes russes à Paris. Il y a même des comédiennes de Moscou qui sont venues. C’était vraiment un casting d’envergure pour un petit film sans trop de budget. Dinara s’est imposée comme une évidence, avec sa capacité à tenir le rôle, à
créer un personnage qui ne soit pas une copie de la vraie vie mais un personnage qui soit elle.
Elle est venue avec son apport créatif pour donner de la chaleur à un personnage de fiction. Aussi sa relation avec Marussia était importante car il fallait quelqu’un qui assumait un double rôle : jouer son propre personnage et faire jouer la petite, qui est un enfant sauvage qui n’a pas l’habitude du jeu ni de vivre dans un cadre.
C.J. : Beaucoup de scènes ont été tournées dans la rue, dans des lieux particuliers à Paris car vous avez retrouvé les endroits où elle avait vécu pour essayer de retrouver certains cheminements.
E.P. : Ce n’était pas exactement les mêmes endroits.
On a cherché les décors qui y correspondaient mais c’est vrai que c’est un tournage
où, presque 80% du temps, nous sommes dans la rue, en hiver. Ce n’était donc pas des conditions évidentes ni pour Dinara, ni pour la petite Marussia, ni pour l’équipe. C’était dur de tout filmer dans tous ces décors différents, on a eu chaque jour beaucoup de déplacements.
C.J. : Comment avez vous formé l’équipe de tournage, qui était composée de plusieurs nationalités, et comment avez-vous vécu le tournage en France ?
E.P. : J’habitais en France depuis quelques années donc je savais comment les choses fonctionnent. Janja est d’origine croate mais habite en France depuis une quinzaine d’année. On a formé l’équipe ensemble ; Janja ne voulait que des professionnels dans l’équipe même si le budget était très réduit. On avait un ingénieur du son belge, un chef-opérateur mexicain, un premier assistant français ; c’était vraiment un mélange de personnalités qui a fonctionné.
C.J. : Pour conclure cet entretien, je vais vous demander si vous avez d’autres projets ?
E.P. : Oui, j’ai pas mal de projets. Je viens d’avoir une aide de la part du CNC à l’écriture d’un documentaire. J’ai deux autres projets de documentaires, deux projets de fictions. Je suis en pleine écriture en ce moment.