Ce jeune homme rêve de devenir écrivain et souhaite publier un essai qu’il a enfin terminé. Mais il butte contre le manque d’argent nécessaire et ses illusions sont barrées par les contraintes économiques. Distant avec tous les autres, un peu supérieur et, avec l’intransigeance de la jeunesse, parfois insolent dans sa rhétorique et ses critiques. Il est rongé de contradictions et doit pourtant accepter de perdre ses illusions et d’admettre les contraintes de l’existence.
Il y a la rencontre avec un écrivain local en vue, ses visites aux gens du village et aux lieux de son enfance. Il retourne à la ferme familiale, voit son grand père, sa chambre d’enfant, toute la Turquie profonde qui évolue très vite. D’où vient-il ? Il s’interroge tout en ressentant le lien très fort avec ses racines. Afin de resserrer le lien, son père lui demande toujours de l’aide pour bricoler ou porter quelque chose, ou même creuser un puits - le puits, véritable métaphore symbolique, est très présent. La relation du père et du fils devient peu à peu le centre du film. Il a honte de ce père à cause de son addiction au jeu et il est pris dans les contradictions qu’entraîne l’acte de créer.
Comme le titre de ce film poétique, son livre s’appelle « Le Poirier sauvage », cet arbre fruitier indomptable à l’ombre duquel, durant les moissons, il avait été oublié, enfant dans son berceau, et retrouvé couvert de fourmis.
Est-ce la réalité ou un fantasme ? Pour ce passage de la jeunesse à l’âge adulte, passé et présent se mêlent. De même que réalité et onirisme.
Passionné de littérature, ce jeune homme ne comprend pas que les autres ne le soient pas également. Il cherche ses livres rangés à l’écart pour ne pas nuire à l’ordre. Comment ne pas, alors, mesurer la distance, la mésentente entre lui et sa famille ? La religion est aussi très présente, surtout lors d’une longue discussion avec deux imams marchant dans le village. Le poids des autorités religieuses ou autres pèse sur l’individu.
L’action n’est donc que rencontres et mises au point verbales avec des discussions philosophiques à n’en plus finir, où personne n’a le mot de la fin. Les dialogues sont de haute volée.
Quelques rêves éveillés insufflent à ce film des notes d’onirisme décalant ainsi la réalité parfois trop éprouvante.
Ceylan ne porte aucun jugement, il capte plutôt les émotions sur les visages. A chaque spectateur de déceler les non-dits. Même la magnifique scène avec l’ancienne amoureuse n’est que bavardage. Toute la beauté vient de l’éclairage, des jeux du soleil rasant dans les couleurs de paysages fabuleux et de la musique de Bach apaisant toute tension.
Tous les films de Ceylan sont d’une grande beauté esthétique. Dans ce nouveau film, il se surpasse dans certaines scènes où des rêves se mêlent à la réalité tandis que les saisons passent et que l’éclairage diffère. C’est somptueusement filmé par une caméra fluide, mobile, qui capte des paysages spectaculaires aussi bien que des scènes à la chandelle (faute de n’avoir pu payer les factures d’électricité).
« Le Poirier sauvage » se termine par une très émouvante scène pleine d’espoir pour l’avenir.
Les acteurs sont tous parfaits, avec un débutant, Dogu Demirkol, interprétant cet écrivain penseur, et un comique à contre-emploi, Murat Cemcir, pour ce père menteur et éternel perdant. Ils donnent à leurs longs échanges l’intensité de scènes d’action. Bergman et Tchekhov – les maîtres de Ceylan – ne sont jamais loin.
Sélectionné au dernier Festival de Cannes, « Le Poirier sauvage » aurait pu obtenir la Palme - c’était la notre !- mais bavard et très long (3 h 8), et présenté en fin de Festival quand le Jury et tous les festivaliers sont KO par tous les films qui ont défilé devant leurs yeux, il n’a guère retenu l’attention. C’était la première fois que Nuri Bilge Ceylan repartait bredouille : tous ses films, toujours sélectionnés depuis ses premiers courts-métrages, ont été primés et « Winter Sleep » a gagné la Palme d’or, en 2014.
Caroline Boudet-Lefort
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