Comme dans le magnifique « Tabou » (2012), Miguel Gomes renoue avec un beau « noir et blanc » pour cet immense voyage, avec cependant certaines scènes en couleurs.
« Le grand tour » s’ouvre dans une décadente colonie britannique birmane au début du siècle dernier, avant de jouer, avec une fluidité étonnante, au « jeu du chat et de la souris » au sein d’un couple, dans les quatre coins de l’Asie. « Le Grand tour » est un voyage des plus envoûtants à travers l’Asie du Sud-Est : Birmanie, Thaïlande, Singapour, Vietnam, Philippines, Chine, Japon,… Mais aussi à travers les volutes du temps, tout en circulant entre fiction et documentaire, entre imaginaire et réel, entre studio et extérieurs.
Le film est divisé en deux parties, la première est attachée à celui qui fuit, et la seconde à celle qui le poursuit, cette partie est d’ailleurs plus tragique, plus émouvante et intense.
La décadence du passé colonial, l’exotisme languide, la maladie et le danger sont de la partie. Le dépaysement est certain et les rencontres sont souvent insolites passant d’un ténor napolitain à un consul fumeur d’opium ou à un chanteur de rue, ou autre, …
Le passé et le présent ne font qu’un, tout comme le réel et l’imaginaire. Les langues sont variées, allant du portugais au chinois, etc.
La poursuite n’en est que plus fascinante, et reste toujours empreinte de magie. Le grand tour, c’est aussi, d’autre part, une attraction bien connue d’un manège toujours en place dans les fêtes foraines.
Les anachronismes et mélanges de noir et blanc et de couleurs ne dérangent pas, bien au contraire, ils donnent un relief et un insolite fort appréciables.
Miguel Gomes a d’abord filmé des sortes d’archives au cours d’un voyage, et ensuite tout s’est compliqué pour le tournage : la Chine était fermée à cause du Covid, et il a fallu jouer d’astuces pour poursuivre la réalisation et le montage du film à distance, depuis le Portugal, avec un photographe qui opérait sur place en Chine pour obtenir des scènes manquantes.
Après 2 films présentés à la Quinzaine des Cinéastes (la fresque fleuve « Les Mille et une nuits » en 2015 et « Le Journal de Tuoa » en 2021), le réalisateur portugais était pour la première fois en compétition au Festival de Cannes en mai dernier, où « Le Grand tour » a remporté le Prix de la mise en scène. C’était bien le moins que ce conteur hors pair méritait pour ce sublime film insolite qui transporte loin à travers la jungle luxuriante, tout en circulant entre fiction et documentaire, entre imaginaire et réel, entre studio et extérieurs. Il aurait pu décrocher la Palme d’or !
Caroline Boudet-Lefort