Dans une ville qu’occupent des armées étrangères, la vie est devenue impossible, car la famine menace. Une mère pleine d’affection se trouve dans l’obligation de conduire ses jumeaux à la campagne, chez leur grand-mère. Leur terrible grand-mère analphabète, sale, avare, méchante, et même meurtrière, dit-on, car elle aurait empoisonné son mari. Aussi, les habitants du village l’appellent-ils la Sorcière, tandis que les garçons disent Grand-mère et qu’elle les nomme « fils de chienne ». On voit déjà qu’elle va leur mener la vie dure, mais, loin de se laisser abattre, les garnements vont s’endurcir en apprenant les dures lois de la vie et de la cruauté.
Dénués de tout sens moral et abandonnés à eux-mêmes dans ce pays en proie à la guerre, les garnements s’appliquent à tenir le journal quotidien de leurs méfaits dans un grand cahier, donné par leur père avant son départ au front. Cahier caché, ainsi qu’un dictionnaire et quelques objets gardés secrets, pour leur permettre de poursuivre leurs études. Inséparables, ils font tout ensemble, vivant dans un monde qu’ils se sont construits, parlant d’une seule voix et ne pleurant jamais. Pour leur survie, ces jumeaux, futés et déterminés, organisent des exercices en tout genre, aussi bien scolaires que d’endurance, s’imposant de ne pas manger pour s’habituer à supporter la faim ou se brutalisant l’un l’autre pour ne pas souffrir sous les coups de leur abominable grand-mère, ogresse sadique. Disloqués par la relation avec la vieille obèse, qu’elle soit d’amour ou de haine, ils semblent douter du sens même de l’existence et de la valeur de la vie. Malgré les brimades incessantes et les humiliations subies, ces jumeaux, devenus des « chats sauvages » prêts à tuer, gardent cependant un brin d’humanité pour une malheureuse jeune voisine réduite à voler, ou pour un soldat déserteur rencontré dans les bois.
A l’extrémité du village, derrière des arbres, il y a une base militaire secrète, et, plus loin, la frontière et un autre pays dont tous rêvent : il n’y a plus de nourriture, les tickets de rationnement manquent, pas de chauffage. On sent le froid dont souffrent les jumeaux, malgré les vêtements superposés. Ils marchent nu-pieds, jambes et bras couverts d’écorchures. Le village est bombardé jour et nuit. Plus de nouvelles du père au front, ni de leur mère, dont la grand-mère sadique fait disparaître les lettres, sans pouvoir les lire. Jusqu’à la débâcle, puis la libération qui apporte d’autres souffrances.
Le Grand cahier est l’adaptation du célèbre roman de la Hongroise Agota Kristof, le premier de sa « trilogie des jumeaux ». Dans des couleurs sombres, le film donne une impression de crasse et d’odeur fétide. Tout est dramatisé, accentué, outré, dans ce conte horrifique où il est difficile de retrouver le ton volontairement distancié du roman. Le film laisse crier leur haine de cette énorme grand-mère qui ne lésine pas sur l’alcool, ce qui n’est pas ressenti dans le roman où les gamins semblent avoir mieux su l’apprivoiser, bien que le personnage ne soit guère sympathique. Cette outrance est donc la vision du réalisateur hongrois Janos Szasz sur la pesanteur d’une guerre sans nom, à travers le regard de garçons de 13 ans.