Divisant l’Italie, le cas Eluana Englaro, une jeune fille plongée dans le coma durant dix-sept ans, a posé de profondes questions éthiques et relancé le débat sur l’euthanasie. Pour en parler, Marco Bellocchio raconte les histoires de trois personnages. Une actrice célèbre (Isabelle Huppert), dans un délire mystique, a stoppé sa carrière lorsque sa fille adolescente est tombée en léthargie totale. Un député de droite (Toni Servillo), qui a lui-même mis fin à la vie de sa femme malade, décide de s’opposer à une loi contre l’euthanasie proposée par le gouvernement, aussi rentre-t-il en conflit avec sa fille (Alba Rohrwacher) catholique acharnée. L’histoire enfin d’un médecin idéaliste (Pier Giorgio Bellocchio) qui empêche une toxicomane de se suicider (Maya Sansa).
En commençant par des images d’archives télévisées lors des quatre jours décisifs avant son « dernier voyage », le film revient sur l’histoire vraie d’Eluana Englaro, restée dans un état végétatif irréversible à la suite d’un accident à l’âge de 21 ans. Les manifestations de rue se multiplient jusque sous les fenêtres de la clinique d’Udine où doit s’achever la vie du corps inerte de la jeune fille. En se battant contre les autorités judiciaires, religieuses et politiques italiennes pour qu’on cesse tout système d’alimentation artificielle, sa famille en a fait une martyre catholique et un drapeau progressiste.
En soulevant le problème du libre-arbitre et du choix de toute décision, Bellocchio révèle avec lucidité le somnambulisme collectif et politique. Il refuse d’accepter les fausses batailles idéologiques entre pro life et progressistes laïcs. En Italie, l’Eglise pèse encore de tout son poids sur les décisions sociétales (en France aussi parfois). Toutes les institutions défilent : hôpital, police, sénat, église,... dans ces diverses situations montrant les contradictions de chacun (comme de l’Italie), dans des dérapages individuels excédant les déterminations sociales. Quoique manipulés par des leaders d’opinion, les divers personnages vont dévoiler leurs individualités, leurs idées, leurs choix véritables, bref leurs avis exaltés dans des situations excessives. Le père sénateur n’accepte pas davantage la radicalité de sa fille que la bataille d’arrière-garde de son parti au pouvoir dont le but est de rallonger artificiellement la vie d’Eluana. Quant à sa fille, elle tombera amoureuse d’un garçon venu pour une manifestation qui s’oppose à celle des bigotes pour laquelle elle est là. Au bord de la folie, la comédienne retirée des planches célèbre une messe permanente à l’intérieur de sa villa en l’honneur de sa fillette endormie pour toujours. La jeune suicidaire va retrouver, peut-être momentanément, le goût de vivre, grâce à l’amour du médecin avec lequel elle s’affronte dans un tonifiant duel verbal.
Tout en clairs-obscurs, le film nous promène soit à travers des sombres couloirs oppressants de la demeure où l’actrice cache sa fille morte vivante, soit à travers de blancs recoins hospitaliers, là où des médecins parient sur la mort de leurs patients. La sobriété de la mise en scène et une interprétation impeccable de tous les comédiens soulignent le didactisme approprié au sujet traité et la complexité du scénario. Pour en faire un film-dossier sans être démonstratif, La Belle endormie témoigne d’une grande violence rentrée chère à Bellocchio et de l’hystérie qu’il représente depuis Les Poings dans les poches jusqu’à Vincere, en passant par Le Saut dans le vide.
La Belle endormie s’attache à un sujet encore trop sensible en Italie pour qu’il soit au palmarès de la dernière Mostra de Venise où sa projection a provoqué des remous. Si bien que le Jury, préférant ne pas se prononcer sur le film, a attribué à Bellocchio un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière.