Laetitia Dosch est sublime en trentenaire dépressive, véritable star d’un chaos affectif et pécuniaire, passant avec aisance d’une douceur mélancolique à de l’agressivité face au moule social où chacun voudrait l’enfermer. Zigzagant entre la nuance et l’hystérie pour raconter sa vie foutraque, sa logorrhée verbale est presque éprouvante. Paula se soucie davantage de ses rapports aux autres que de sa réussite sociale et reste coincée entre sa rupture amoureuse et sa précarité.
Le film vise en plein coeur du mal-être d’une jeunesse contemporaine paumée.
Bien que joyeuse et vivante, cette « jeune femme » trimbale la tristesse de ceux brisés par une vie errante. On n’a pas envie de la laisser tomber, et chacun y va de sa B A pour la soutenir un moment, avant de s’épuiser. Elle passe ainsi de rencontre en rencontre, ne faiblit pas, ne désarme pas, planquant sa brisure secrète derrière son énergie. Tous les personnages croisés sont prétextes à des scènes réjouissantes, souvent hilarantes et chaque rencontre, jalonnant son errance initiatique, va participer à la faire avancer et à l’aider à grandir. Portée par des expériences plus ou moins insolites, Paula va accéder à une certaine maturité, une autonomie relative en remettant peu à peu sa vie en ordre. Chaque rencontre laissera une trace à cette « jeune femme » insaisissable, mais courageuse et qui, dans son désarroi, devient de plus en plus attachante pour le spectateur.
Ce beau portrait de gentille désaxée est filmé dans la rage de l’urgence sur des dialogues remarquablement écrits que l’actrice joue avec un naturel confondant en donnant l’impression de sans cesse improviser. Elle est époustouflante de vérité dans son personnage de paumée. Le film repose sur sa liberté de jeu en hystérique parfaite, dans toute son horreur et dans ce qu’elle peut avoir de désarmant. Avec une formidable énergie, Paula parviendra à se réinventer et son émancipation sera aussi touchante qu’hilarante.
Le scénario était très détaillé avec des dialogues parfaitement écrits, loin de laisser place à l’improvisation, comme cela aurait pu sembler. Avec une équipe essentiellement féminine (directrice de la photo, ingénieure du son, monteuse image, monteuse son, décoratrice, productrice,...), Léonor Serraille prouve que des femmes arrivent aujourd’hui à des postes décisifs.
Ce film libre, émouvant et drôle a obtenu la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, prix qui récompense un premier film choisi dans toutes les sélections confondues.
Après avoir reçu ce prix, Léonor Serraille s’est présentée à la presse en compagnie de sa comédienne. Elle a bien compris que Laetitia Dosch, formidablement jubilatoire, y est pour beaucoup dans l’attribution de cette récompense et que la partager avec elle se justifiait. Bravo !
Caroline Boudet-Lefort